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Caroline Lefrere, Agence Hermana : « En dessous de 50 000 euros, il est quasiment impossible de produire un défilé »

Entretien avec Caroline Lefrere (Agence Hermana) sur la production de défilés de mode, les coûts, les lieux et les défis pour les jeunes créateurs.
By Florence Julienne

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Business|Interview
Caroline Lefrere (Agence Hermana) Credits: Agence Hermana

Créée il y a un an et demi, l’agence Hermana est spécialisée dans la scénographie et production de défilés de mode et événements musicaux. À la veille de la fashion week Paris septembre 2025, FashionUnited a interviewé sa fondatrice, Caroline Lefrere, sur son métier.

Avec quels types de marques de mode, collaborez-vous ?

Caroline Lefrere : Je travaille tout autant avec des jeunes marques comme SKFK, Ester Manas, Arturo Obegero ou Vincent Pressiat qu’avec des maisons établies telles que Saint-Laurent.

En quoi consiste votre métier ?

L'idée est de créer un univers qui reflète une collection saisonnière. Une fois que je me suis mise d'accord avec la marque sur les aspects créatifs et sur la scénographie, je gère tous les aspects de la production : la recherche d’un lieu pour le défilé, la location du matériel son et lumière, la sécurité à l'entrée ou encore la gestion du backstage. Je m'assure que les répétitions se passent bien et je lance les mannequins pendant le show.

Cinq à six personnes collaborent en freelance. Pour le montage, l’équipe peut monter jusqu'à une cinquantaine de personnes, voire plus.

En tant que prestataire de services, gérez-vous les partenariats ?

Non, les partenariats sont du ressort des agences de presse ou des équipes internes à la maison. De même que la partie hair and make up.

Quelle est la part créative de votre métier ?

À partir d’un moodboard ou d’une image de référence, qui sont l'inspiration de la collection, nous sommes forces de propositions. Nous devons interpréter, de manière visuelle, tout ce qui va être mis en lumière lors du défilé.

Pour le défilé du salon de la Lingerie, nous avons dû tendre des milliers de fils sur une installation monumentale de sept mètres de haut. Il y a eu toute une dimension ingénierie et travail avec des techniciens sur comment les faire tenir.

Salon de la Lingerie Credits: Hermana

On parle souvent du coût des défilés, qu’en est-il vraiment et comment est répartie l’enveloppe budgétaire ?

En dessous de 50 000 euros, il est quasiment impossible de produire un défilé. Mais certains shows coûtent des millions. La cabine peut représenter une grosse partie du budget, d’autant que les castings sont réglementés. C’est, par exemple, compliqué de faire des castings de rue sans passer par des agences. Je collabore avec des directeurs de casting, mais, la plupart du temps, les marques aiment conserver la personne avec laquelle elles ont l'habitude de travailler.

La location des lieux, du matériel technique et des autres éléments de production prennent une grosse partie du budget, mais sont malléables selon le lieu choisi et le projet. Certains lieux parlent d'eux-mêmes. Pour d’autres, il faut tout construire.

Typiquement, pour un défilé de Weinssanto, Camille Lellouche a chanté en live. C’est un dispositif d'accueil différent qu'une simple bande-son.

Je travaille sur des évènements qui coûtent, en général, entre 50 000 et 600 000 euros.

Quel est le tarif d'un mannequin (hors star) ?

Tout dépend du contrat négocié pour le droit à l'image, c’est-à-dire la possibilité de l’utiliser sur les réseaux sociaux ou sur le site de la marque. Les prix vont de 800 à 2000 euros pour une journée de défilé.

Pour les jeunes créateurs, on évoque souvent le poids financier de la location des lieux parisiens. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Il y a le coût des lieux parisiens, mais il y a surtout où dans Paris. Une pression est exercée sur les jeunes marques pour qu’elles présentent dans le triangle d’or. Si elles choisissent des lieux moins chers mais un peu excentrés, les acheteurs et la presse y vont moins, car ils ont peu de temps pour se déplacer d'un défilé à l'autre. Le problème est donc de devoir rester non seulement dans une ville qui coûte cher, mais dans les zones de cette ville qui coûte le plus cher.

Les lieux ont un prix standard et sont toujours un petit peu plus chers pendant la fashion week. Généralement, ils varient de 4 000/5 000 euros à 20 000 euros.

Quels sont les quartiers privilégiés pour l’organisation d’un événement durant la FW Paris ?

Pour la présentation des collections masculines, les lieux phares se situent plutôt dans le Marais. Pour les collections féminines, cela se passe plutôt autour du Palais de Tokyo, dans le 7e et le 8e arrondissement, un peu le 16e, le 1er et le second.

Cependant, les jeunes marques sont souvent dictées par les plus grosses marques qui sont programmées, avant ou après elles, dans le calendrier de la Fédération (FHCM). Je me souviens d'avoir travaillé avec Ester Manas. On cherchait un lieu qui n'était pas trop loin du Champ de Mars parce qu’elle était planifiée juste avant Saint-Laurent qui défilait au Trocadéro. On a fini par présenter à la Maison de la Chimie (Paris 7ᵉ). Ester Manas voulait s'assurer que les invités aient le temps d'aller d'un défilé à l'autre.

Ester Manas Credits: Adèle Boterf

Quid des tarifs pour la partie technique ?

Ils grimpent vite. Dès qu’il faut mobiliser des régisseurs, des responsables ou autres intervenants, rémunérés au cachet, la part humaine augmente rapidement. Avec des amplitudes horaires importantes — parfois deux jours de suite ou de très longues journées pour les défilés — les frais s’accumulent, si bien que le poste humain finit par dépasser largement celui du matériel.

En pratique, j’élabore des devis très détaillés, afin que le client comprenne précisément où part son budget, ce qui peut être réduit et avec quelles conséquences. Par exemple, pour l’équipement backstage, j’indique le nombre exact de miroirs pour les maquilleurs, ou encore les quantités de lumière, de son, de sécurité, etc. Cela permet au client d’anticiper l’impact de chaque coupe éventuelle, que ce soit en matériel ou en temps.

L’objectif reste toujours de trouver des solutions adaptées, d’autant plus que je travaille beaucoup avec de jeunes designers : mon but est de pouvoir collaborer à nouveau avec eux six mois plus tard, et non de les laisser avec des dettes pendant un an.

Pourquoi avoir recours à un service d’ordre ?

Il y a la sécurité à l'entrée pour assister le service presse et accueillir les invités. Et il y a la sécurité liée aux risques d'incendie (si on met de la fumée, on doit couper certaines alertes d'incendie et nous sommes tenus de prendre des agents de sécurité). Idem si on doit fermer une issue de secours.

Quel est votre plus beau souvenir de production de défilé ?

J'aime être proche des designers et les voir évoluer. C’est le cas d'Arturo Obegero. J'ai commencé à travailler avec lui, il sortait quasiment de l’école.

Arturo Obegero Credits: Hermana

Et le pire ?

Les pires souvenirs, on a tendance à essayer de les oublier. Je pense que ce sont les demandes de dernière minute. Les marques qui nous appellent le vendredi en disant : « finalement, mercredi, on fait un énorme événement, il y a tout à faire ».

En même temps, rendre des choses qui peuvent paraître impossibles possibles, trouver des solutions et donner l'impression que ça n'a pas été aussi difficile que ça l’a été, fait partie de notre mission.

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