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Après la surtaxe américaine, inquiétudes dans la capitale indienne du textile

Tiruppur (Inde) - Le vacarme des machines à coudre a laissé place à un calme inhabituel dans les usines textiles de Tiruppur, dans le sud-est de l'Inde. Depuis la surtaxe sur les exportations indiennes imposée fin août par Donald Trump, la plupart tournent au ralenti.

"Les commandes américaines sont presque au point mort", constate avec dépit Ramesh Jebaraj. L'activité de son entreprise, Trinity Tex, avec les Etats-Unis, a chuté d'environ 80%.

En représailles aux achats indiens de pétrole russe qui, dit-il, financent la guerre de Moscou en Ukraine, le locataire de la Maison Blanche a décrété une hausse de 50% des droits de douane sur les produits venus d'Inde entrant sur le sol américain. Sa décision, à la fin de l'été, a fait l'effet d'une bombe dans les rangs de l'industrie textile indienne, qui exporte chaque année pour 11 milliards de dollars (près de 9,5 milliards euros) de produits en tous genre.

Particulièrement dans la ville de Tiruppur, surnommée "Dollar City" tant son sort est lié aux Etats-Unis. Lors du dernier exercice fiscal, "l'usine à tricot de l'Inde" a fabriqué pour 5 milliards de dollars de vêtements, destinés à 40% aux Etats-Unis. Sitôt la surtaxe en place, les entreprises locales ont lourdement accusé le coup.

"Toutes les entreprises de Tiruppur sont touchées", constate Ramesh Jebaraj, et "certaines grosses usines s'apprêtent à fermer des unités". "C'est pire que lors de la pandémie de Covid", renchérit Alexander John, de NC John, qui produit pour le géant du divertissement Walt Disney. "Rien ne peut remplacer les Etats-Unis et le pouvoir d'achat de ses 350 millions d'habitants".

"Plus de travail"

Le dirigeant s'est déjà séparé d'une partie de ses salariés et se bat pour trouver de nouveaux marchés au Royaume-Uni et dans le reste de l'Europe. Dans tout le secteur, la fin du "rêve américain" coûte cher. Très cher même pour R.K. Sivasubramaniam, directeur général de Raft Garments, qui a investi massivement après l'élection de Donald Trump, en misant sur une hausse du commerce bilatéral.

Les clients demandent des remises de 16 à 20% "mais nous ne pouvons pas leur accorder autant", regrette-t-il aujourd'hui devant les cartons d'invendus qui s'empilent dans ses hangars. "Si cela dure un mois de plus, nous n'aurons plus de travail à leur offrir", s'inquiète M. Sivasubramaniam en désignant ses ouvriers.

Le chef de l'exécutif du Tamil Nadu, M.K. Stalin, a estimé que jusqu'à 3 millions d'emplois sont menacés dans l'industrie textile de cet Etat. Les associations professionnelles du secteur affirment avoir, jusqu'à présent, réussi à éviter des licenciements massifs en consentant à des rabais importants sur leurs exportations.

"Nous offrons aux clients des réductions allant de 20 à 25%," explique N. Thirukumaran, secrétaire général de l'Association des exportateurs de Tiruppur. "Certains fabricants ont même choisi de vendre à perte pour maintenir leurs relations avec les acheteurs américains dans l'attente d'un éventuel accord commercial bilatéral", ajoute-t-il.

Mais faute d'un soutien financier et rapide du gouvernement, ils ne tiendront pas. Dans les immenses ateliers à peine éclairés de RRK Cotton à Palladam, à 17 kilomètres de Tiruppur, les machines à coudre sont déjà à l'arrêt.

"Abandonnés..."

R. Rajkumar, un ancien tailleur qui a créé son entreprise il y a 30 ans, a temporairement fermé deux de ses trois usines et placé une partie du personnel en congé temporaire.

"C'est une situation que personne ne pouvait anticiper", affirme R. Rajkumar. Pour payer ses fournisseurs, lui aussi a fait le choix des rabais et continue à livrer ses clients américains. Mais il redoute qu'ils ne se tournent vite vers des concurrents au Vietnam ou au Bangladesh. Le chef d'entreprise a, comme les autres, commencé à explorer les marchés européens, mais sans trop d'illusions. "Aucun de ces marchés ne peut remplacer les Etats-Unis", reconnaît-il.

Alors, partout dans les ateliers de Tiruppur, chefs d'entreprises et ouvriers sont en colère, otages d'une situation géopolitique qui les dépasse. "Mon tailleur n'a aucune idée de ce qu'est une guerre commerciale", rouspète Kumar Duraiswamy, le PDG d'Eastern Global Clothing. "Il ne sait pas pourquoi l'Inde achète du pétrole à la Russie, ni en quoi cela peut bouleverser nos vies".

"Nous sommes impuissants, perdus", poursuit le patron, "nous ne savons pas si le gouvernement nous soutiendra ou s'il attend un éventuel accord commercial".

Dans son atelier de broderie contraint de tourner au ralenti, N. Karthick Raja est tout aussi désemparée. "On nous impose des congés forcés d'un ou deux jours. Si je perds mon travail, je ne sais pas ce que je ferai", s'inquiète la trentenaire, "on dirait que l'Amérique nous a abandonnés..."


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