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Chaussure : pourquoi le milieu de gamme s’effondre en silence

By Diane Vanderschelden

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Credits: Minelli website

Sommes-nous face aux signes avant-coureurs d’un effondrement du milieu de gamme dans la chaussure ? Depuis la crise du Covid-19, le secteur de la mode accessible connaît une série de faillites retentissantes. Si les projecteurs sont longtemps restés braqués sur le prêt-à-porter féminin, un segment connexe montre aujourd’hui des signes de fragilité similaires, dans une relative discrétion : celui de la chaussure.

San Marina, Minelli, Chaussexpo, Clergerie… Les noms tombent, les enseignes ferment, et avec elles, c’est tout un pan du commerce de centre-ville qui vacille. En toile de fond, une remise en question profonde du modèle économique du milieu de gamme, tiraillé entre inflation, digitalisation incomplète et désaffection croissante des consommateurs.

Une crise structurelle amplifiée par la conjoncture

La faillite de San Marina, annoncée en février 2023, a constitué un tournant pour le secteur. Selon Reuters, le distributeur – alors propriétaire de 163 boutiques en France – a été contraint de licencier plus de 650 salariés, marquant une première alerte massive dans l’industrie de la chaussure grand public.

Depuis, les défaillances semblent s’enchaîner. La marque Minelli, placée en redressement judiciaire à l’automne 2023, n’a pu être partiellement relancée qu’au prix d’un recentrage drastique. Rebaptisée Maison Minelli, elle a supprimé plus de 110 magasins sur les 180 qu’elle exploitait encore un an plus tôt. Près de deux tiers des effectifs ont été remerciés, comme le rapporte Le Figaro.

En janvier 2024, c’est Chaussexpo qui a été placée en liquidation judiciaire. Cette enseigne, implantée dans les zones semi-rurales, a elle aussi cessé son activité, entraînant la suppression de plus de 700 emplois.

Plus récemment, en 2025, c’est la maison Clergerie qui a été placée en redressement judiciaire, pour la deuxième fois en deux ans. Si cette marque ne relève pas du milieu de gamme – elle est positionnée sur le segment premium voire luxe – sa défaillance souligne que même les maisons dotées d’un fort capital de marque et d’un ancrage artisanal français ne sont pas à l’abri d’une fragilisation économique profonde.

Selon les données publiées par le cabinet Altares, les défaillances dans le commerce de la chaussure ont bondi de 43 % entre 2022 et 2024. Cette accélération est particulièrement marquée depuis le second semestre 2023, illustrant une tendance de fond aggravée par les tensions inflationnistes et la fragilisation du commerce physique.

Le milieu de gamme, un modèle en perte de sens

Le marché français de la chaussure, estimé à 9,6 milliards d’euros en 2022 selon la Fédération Française de la Chaussure (FFC), a vu ses volumes baisser de près de 25 % depuis 2019. Le segment le plus touché est sans équivoque celui des prix moyens, entre 80 et 150 euros : trop cher pour concurrencer la fast fashion, pas assez différenciant pour se hisser vers le haut de gamme.

Ce positionnement, longtemps perçu comme un juste milieu rentable, est aujourd’hui attaqué sur tous les fronts. Les enseignes historiques ont vu leur marge s’éroder, prises en étau entre l’augmentation des coûts de production, la flambée des loyers commerciaux et l’essoufflement de la consommation. Comme le souligne l’Institut Français de la Mode, les arbitrages des ménages, en période d’inflation, font de la chaussure un poste de dépense de plus en plus compressible.

Les évolutions des comportements d’achat viennent accentuer le malaise. La montée en puissance de la seconde main – portée par des plateformes comme Vinted ou Vestiaire Collective – capte une clientèle jeune et sensible aux prix comme à l’impact environnemental. Le basculement vers l’e-commerce, quant à lui, n’a pas été suffisamment anticipé par bon nombre de marques de chaussures. Enfin, la désaffection des centres-villes et les fermetures en cascade de boutiques affaiblissent l’attractivité des réseaux traditionnels.

Un écho à la crise du prêt-à-porter

Le sort réservé aux marques de chaussures ne fait que refléter, voire prolonger, celui déjà connu dans le prêt-à-porter milieu de gamme. Depuis 2021, les faillites se sont multipliées : Camaïeu, liquidée en 2022 puis timidement relancée en 2024 par Celio ; Kaporal, en cessation d’activité début 2025 ; Jennyfer, en liquidation judiciaire depuis avril 2025. Des enseignes autrefois puissantes comme Pimkie, André, Naf Naf ou encore Kookaï ont elles aussi vacillé.

Même les marques spécialisées dans la mode enfantine, souvent plus résilientes, n’ont pas été épargnées. En novembre 2024, Le Monde rapportait que Du Pareil au Même, Sergent Major et Natalys n’avaient dû leur salut qu’à un plan de continuation validé en justice.

Derrière ces fermetures se dessine un changement de paradigme : ce qui fut jadis un modèle économique stable, mêlant ancrage territorial, rapport qualité-prix équilibré et volumes de ventes réguliers, semble aujourd’hui obsolète. Le milieu de gamme ne parvient plus à trouver sa place entre une fast fashion ultra-agressive et un haut de gamme dopé par le storytelling, la rareté et les marges élevées.

Tentatives de rebond… et résistances isolées

Malgré ce constat sévère, quelques marques tentent encore de se réinventer. Maison Minelli vise un repositionnement plus qualitatif et sélectif, avec une production recentrée sur l’Europe du Sud. D’autres, comme Bobbies, M.Moustache ou Jonak, combinent stratégie omnicanale, circuit court et fabrication européenne pour rester compétitives sans entrer dans la guerre des prix.

Quant au made in France, il suscite un regain d’intérêt mais reste marginal. La liquidation judiciaire de Clergerie en 2025, malgré son image de marque forte et son savoir-faire artisanal reconnu, illustre la difficulté de maintenir une production locale premium dans un contexte de pression sur les coûts et de demande instable. Sa disparition souligne combien la rentabilité de ce type de modèle reste tributaire d’un public restreint et d’un soutien industriel encore trop limité. Sans impulsion publique significative ni structuration pérenne de la filière, le made in France dans la chaussure risque de rester une exception plus qu’une alternative viable à grande échelle.

Vers un nouveau modèle ou une fin programmée ?

Le sort du milieu de gamme dans la chaussure pourrait préfigurer celui d’autres segments de la mode. Dans un contexte où la polarisation du marché s’accentue, où les classes moyennes ajustent leur consommation et où l’économie circulaire redéfinit les usages, l’entre-deux peine à exister.

Sans rupture franche – qu’elle soit produit, distribution ou positionnement – le modèle dominant entre les années 1980 et 2010 apparaît aujourd’hui en déclin avancé. La vague actuelle de défaillances ne serait alors pas une anomalie passagère, mais le signe d’un repositionnement inévitable de l’ensemble du secteur.

André
Chaussure
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Mode durable
Robert Clergerie