Élisabeth Cunin, Kiabi : « Inspirons-nous de la capacité à mieux comprendre les clients »
À l’occasion du Fashion Reboot organisé par l’Institut Français de la Mode (IFM), Xavier Romatet, directeur général, a interviewé Élisabeth Cunin, présidente de la marque française Kiabi, sur le thème : « Kiabi : un modèle gagnant et résilient dans un environnement contraint ».
Quels sont les fondamentaux de Kiabi ?
Kiabi, créée en 1978 par Patrick Mulliez, est une société familiale qui porte des valeurs du Nord de la France, humaines et terriennes. Elles donnent du sens à notre entreprise et lui permettent de continuer d’exister. Cela explique une partie de notre succès.
Chaque effet de bord (conséquence indirecte, ndlr) nous ramène à nos trois fondamentaux : être utile, avec une offre durable, à des prix accessibles au plus grand nombre.
Notre premier slogan était « la mode à petit prix ». Il n’a pas pris une ride. Néanmoins il a évolué vers l’idée d’offrir un mode de vie. Cette notion de mode de vie nous ouvre d’autres horizons que la seule offre textile. Nous sommes convaincus du besoin de se transformer, d'être là pour la planète et pour les générations à venir. C'est un devoir que l’on prend comme tel.
Comment concilier une offre à petit prix, créative et qualitative, avec une responsabilité sociétale ?
Nous concilions avec du travail et grâce à l'engagement de nos équipes. Déjà, Kiabi n’est pas une marque de fast fashion. Nous équipons les familles, ce qui revient à dire qu’une partie de l’offre est composée d’essentiels, une gamme de produits que l’on ne change pas tous les trois ou quatre matins.
Une grosse partie de notre expertise consiste donc à fabriquer des basiques durables au meilleur rapport qualité/prix. Nous procédons à une analyse de valeur dans le choix des matières et dans celui de nos partenariats avec les industriels. Mais nous travaillons aussi une proposition de produits assez large pour s'autoriser des effets de mode et de plaisir.
Sur quel modèle de distribution vous basez-vous ?
La distribution de Kiabi repose sur un réseau de près de 700 points de vente répartis dans plus de trente pays. L’enseigne s’est construite sur une formule particulièrement résiliente, avec des surfaces d’environ 1 500 mètres carrés, héritées des premiers formats développés en périphérie des grandes villes. Ce sont des zones commerciales accessibles, pour lesquelles les loyers ne sont pas impraticables.
Qu'est-ce qui fait que vous réussissez là où d’autres ont échoué ?
Kiabi s’adresse avant tout à l’équipement de la famille. L’enseigne habille le bébé, l’enfant, la femme et l’homme. Cet équilibre constitue un atout majeur. Quand nos clientes sont enceintes, elles achètent les premiers habits de bébé chez Kiabi. Elle rentre en boutique par la partie la plus séduisante et la plus émotive. On a beau faire, c'est une assiette de macarons.
15 % des parts de marché sont dues au segment bébé. Ensuite, Kiabi fidélise la cliente sur l'équipement de son enfant tout au long de sa croissance. De fait, elle va se laisser aller pour ses propres achats.
Cette relation avec la clientèle et cette capacité à être des lieux de vie font partie intégrante de l’équation et de la magie Kiabi. Entrer dans un magasin Kiabi n’a rien à voir avec le fait de parcourir une grande surface anonyme où l’on croise difficilement un vendeur. Cela reste un plaisir pour s'équiper, avoir des produits justes et une qualité continue grâce à nos stocks.
Pour réussir, vous êtes obligée de produire en Chine. Que dire sur ce pays et ses nouveaux entrants ?
Nous produisons en Chine, avec des fournisseurs avec lesquels nous sommes en partenariat et avec des usines auditées par nos soins, notamment sur les aspects sociaux. Mais pas uniquement : nous avons aussi délocalisé ailleurs.
Pour parler de la Chine, il faudrait d’abord que nous ayons les mêmes règles du jeu et, ensuite, nous pourrions vraiment discuter. Je pense que les plateformes industrielles chinoises vont perdurer. Et si ce n'est pas la Chine, un autre pays viendra, avec un modèle similaire, bouleverser le marché occidental.
On peut chercher à les encadrer, à empêcher la vente de produits illégaux, leur imposer de respecter notre réglementation. Cela les freinera, parce qu’aujourd’hui c’est open bar. Mais je ne les vois pas disparaître, sauf si on leur interdit l’accès à tous les pays.
Il faut les regarder et, s’il y a des choses à prendre - la data, l'intelligence artificielle, la rapidité -, il faut s’en inspirer. Shein fait trente milliards de dollars de revenus, ce n’est pas par hasard. Quand je vois que 38 % des clients achètent de l’ultra fast fashion, je ne vais pas stigmatiser mes consommateurs. Inspirons-nous de cette capacité à mieux comprendre le client, à être capable de le suivre et à capter les tendances.
En tant que présidente de Kiabi, qu'est-ce qui vous empêche de dormir ?
Pas grand-chose si ce n’est la gestion humaine. Comment motiver vos hommes dans un monde où vous ne pouvez pas leur prévoir ce qui va leur arriver demain matin, où les gens ont changé, où les compétences ont évolué, où l'IA est déjà là ? Dans le retail, si vous enlevez les hommes, vous enlevez beaucoup.
Quels sont les leviers de croissance de Kiaby ?
Nous voulons pivoter vers un modèle qui respecte la planète. Ce n’est pas un levier de croissance, mais un chantier immense.
Parmi nos enjeux, il y a de continuer à grandir à l’international, même si cela reste assez classique. Il y a aussi la diversification : sortir un peu du textile, car le secteur est malmené. Nous sommes là pour le quotidien des familles : que pouvons-nous leur apporter en plus ? Comment entrer davantage dans leur quotidien ?
Nous avons commencé à développer le home, à lancer une marque de chaussures premiers pas et à comprendre comment nous pouvons grandir à travers ces nouveaux produits. Le deuxième axe, c’est la seconde main. Nous en faisons déjà. Nous allons également tester des boucles de circularité.
En tant qu’entreprise familiale, Kiabi est extrêmement disciplinée financièrement. Cela nous permet d'avoir les moyens de perdurer, croître, pivoter. C'est un sacré avantage dans un monde imprévisible où l’on est exposé de toutes parts.
OU CONNECTEZ-VOUS AVEC