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Interdiction de détruire les invendus dès 2021 en France: qui va payer?

By Herve Dewintre

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La France envisage d'interdire la destruction des invendus de produits non alimentaires d’ici deux à quatre ans : c’est ce qu’a annoncé en juin dernier le Premier ministre Edouard Philippe en se félicitant au passage de cette mesure qui constitue « une première mondiale ». Cette mesure est la continuation logique de la feuille de route mise en place l’année dernière par le gouvernement. Une feuille de route pour une économie totalement circulaire avec pour objectif de limiter le gaspillage et de faire de nos déchets de nouvelles ressources.

« C’est un gaspillage qui choque l’entendement. »

La mode est bien évidemment particulièrement touchée par cette mesure. La destruction des invendus est une pratique courante du secteur. Une pratique discrète, partagée par les marques de luxe et les enseignes grand public, de plus en plus souvent dénoncée par les associations. Plusieurs scandales ont éclaté ces dernières années à ce propos. A l’automne 2017, le géant H&M était pointé du doigt par une chaine de télévision danoise : celle ci reprochait sévèrement à l’enseigne de bruler ses invendus. Un chiffre stupéfiant avait circulé : on parlait de plusieurs tonnes de vêtements neufs invendus- 60 millions plus précisement, depuis 2013. H&M s’était défendu en indiquant que l’incinération était rare.

Comme un détonateur, ce scandale avait été suivi de nombreux autres : des vidéos montrant des produits Hermès brulés aux portes de Paris avait choqué l’opinion publique en France tandis qu’en Grande Bretagne, tous les projecteurs étaient braqués sur Burberry : l’enseigne avait indiqué dans son rapport annuel avoir détruit physiquement des articles d’une valeur de 31 millions d’euros rien que pour l’année 2017. Les marques citées servaient ici de boucs émissaires car l’ensemble de l’industrie était concerné. Le seul fait nouveau était le degré d’indignation soulevé par ces pratiques courantes.

L’annonce du gouvernement français répond donc à une demande pressante de l’opinion publique, elle même aiguillonnée par les cris d’alarme poussés par les associations. Emmaüs en avril 2018 avait préconisé l’adoption d’une loi qui obligerait les enseignes de mode à donner leurs invendus à des associations. Cette préconisation répondait à une nécessité écologique et morale : la production de vêtements a doublé entre 2000 et 2014 : près de 4 millions de tonnes de textiles neufs ou usagés sont jetés en Europe chaque année selon l’association. Cette proposition avait été reprise dans la feuille de route du gouvernement. Pour montrer qu’il avait bien entendu ce cri d’alarme, Edouard Philippe avait employé des termes à très forte connotation morale lors de son annonce: « C’est un gaspillage qui choque l’entendement. Un gaspillage honteux ».

L’annonce du Premier Ministre Edouard Philippe comporte plusieurs zones d’ombre qui seront éclaircies ou non durant le débat parlementaire. Constatons pour le moment que cette annonce ne stipule pas que les vêtements invendus doivent être donnés. Il s’agit pour l’instant d’interdire la destruction physique des invendus, injonction générale qui laisse aux marques de mode une certaine liberté de manœuvre.

Cette annonce française semble d’ores et déjà inspirer certaines enseignes internationales, des enseignes particulièrement visées par le gaspillage écologique. Ainsi, Amazon, accusé cette année par plusieurs médias de détruire massivement ses invendus (en France, *un numéro spécial « gaspillage » diffusé sur Capital en janvier avait révélé qu'un seul entrepôt Amazon français -ou britannique -pouvait détruire environ 293 000 articles en l'espace de neuf mois) a d’ores et déjà annoncé vouloir *faire don de ses invendus à des organisations caritatives travaillant directement avec le géant de la vente en ligne.

Cette décision spectaculaire sera mise en place des septembre aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Sera-t-elle suivie par d’autres annonces de même ampleur de la part des grands noms du secteur ? Ce n’est pas certain. Yohann Petiot, de l’Alliance du commerce (450 enseignes) plaide cependant pour la bonne volonté du secteur de la mode : « la dynamique est déjà en place chez de nombreuses enseignes ». Entre la vente en magasin, les soldes et les déstockage, seuls 1 pour cent des vêtements et 3 pour cent des chaussures seraient détruits.

Donner coûte plus cher que détruire

L’interdiction de détruire les invendus va donc subdiviser le secteur du textile en deux camps: d’un coté, les enseignes qui font des promotions, soldent, déstockent. Du point de vue de la propriété intellectuelle, ces enseignes n’ont pas d’objections fondamentales à émettre contre le don des invendus. Pour ces enseignes. le gouvernement devra donc s’assurer qu’il ne revient pas plus cher de donner que de recycler ou de détruire. En effet, les entreprises qui donnent leurs invendus aux associations doivent parfois s'acquitter de la TVA sur le produit, alors que ça n'est pas le cas lorsque l'entreprise les détruit.

De l’autre coté, il y aura les marques qui, pour ne pas galvauder le prestige de leurs produits et pour protéger leur propriété intellectuelle refuseront toujours de solder, et a fortiori de donner leurs invendus. Ces entreprises ne souhaitent pas alimenter des marchés qui nuiraient à leur image de marque. Elles se retrouveront donc avec des stocks inévitables sur les bras. Or les stocks coutent chers (ils coutent en lumière, en chauffage, en volume occupé, en personnel de gestion sans compter les impôts sur les immobilisations): la destruction, aussi choquant soit-elle, constitue donc l’option la plus rationnelle pour ces entreprises qui comptabilisent de manière plus ou moins opaque ces destructions dans une ligne intitule “dépréciations de stocks”.

Coincées entre le devoir éthique le plus pressant et les impératifs économiques les plus élémentaires, ces entreprises n’auront que trois solutions: les deux premières solutions sont évidentes; il s’agira soit de promouvoir de nouveau publiquement le déstockage, directement ou par le biais de société spécialisée en insistant sur la valeur éthique et écologique du procédé (le Outlet de San Remo inauguré par kering au début de l’été semble aller dans cette voie ), soit de faire payer au consommateur le cout supplémentaire lié au stockage et au recyclage des invendus. On le voit, quelque soit la solution choisie, la volonté affichée du gouvernement en matière d’économie circulaire suit un chemin pavé de bonnes intentions, mais aussi d’effets pervers. Car au final, la volonté de donner les invendus engendrera un cout qui sera vraisemblablement payé par le consommateur.

Une troisième solution existe. Mais elle prendra du temps à se mettre en place: elle consiste à ne plus faire de stock du tout grâce à l’impression 3 D et/ou à la production à la demande. Les avancées considérables de l’Intelligence Artificielle autorisent l’émergence de cette révolution à venir. Le géant Amazon surveille de très près cette alternative. Néanmoins on ne peut s’empêcher de penser que cette solution satisfaisante (encore faut il vérifier le cout écologique de l’impression) nécessitera de la part des enseignes mais aussi des clients des efforts considérables de réflexion, d’adaptation et de patience. Pour terminer sur une note plus légère, notons l’existence d’une quatrième solution, plus anecdotique: la performance artistique. De nombreux artistes contemporains articulent leur production autour de vêtements usagés. Le vif succès des installations de l’artiste italien Michelangelo Pistoletto ou de l’artiste français Christian Boltanski prouve l’intérêt du public pour cette démarche, certes anecdotique mais édifiante.

Légende photo: Venus of the rags, 1967, Michelangelo Pistoletto, Blenhein art foundation; dispersion de Christian boltanski (1991-2015) à la monnaie de Paris.

Crédit photo: Blenhein art foundation, monnaie de paris, dr

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