Kering Eyewear renforce son arsenal industriel et défie Luxottica sur le terrain du haut de gamme

Kering Eyewear accélère son développement dans l'industrie de la lunetterie avec une nouvelle acquisition stratégique. Ce mardi 10 juin 2025, la filiale du groupe Kering a annoncé le rachat de Lenti, un fabricant italien de composants optiques basé à Bergame, spécialisé dans le moulage et les traitements de surface de verres solaires. Cette opération marque une nouvelle étape dans la stratégie d’intégration verticale du géant du luxe dans le secteur de l’eyewear. Fondée en 1996 et jusqu’ici intégrée à l’univers de Safilo, Lenti emploie aujourd’hui environ 100 personnes.

L’entreprise développe des solutions techniques de pointe dans le domaine de la protection visuelle, avec des applications allant bien au-delà des lunettes de soleil, comme les visières, ou les composants pour l’éclairage automobile ou de moto.

Une maîtrise renforcée de la chaîne de valeur

Avec cette acquisition, Kering Eyewear internalise une partie clé de la chaîne de production des verres solaires, jusqu’ici externalisée. « Nous admirons depuis de nombreuses années l’excellence des produits de Lenti, et nous sommes très fiers de l’accueillir aujourd’hui au sein de Kering Eyewear », a déclaré Roberto Vedovotto, fondateur et PDG de Kering Eyewear. « Cette acquisition vient enrichir notre plateforme d’expertises industrielles de premier plan, d’installations de pointe et, surtout, de talents. »

Kering Eyewear, qui détient les licences de grandes maisons du groupe (Gucci, Yves Saint Laurent, Balenciaga…) ainsi que de marques partenaires comme Cartier, poursuit ainsi sa stratégie de renforcement industriel en Europe, avec un accent sur le « Made in Italy », gage de qualité et de savoir-faire reconnu internationalement.

Pourquoi l’optique est un pari stratégique payant

Le secteur de l’eyewear présente des atouts économiques solides. Il bénéficie de marges élevées, d’un renouvellement régulier de la demande et d’une croissance mondiale continue. Selon le cabinet Statista, le marché mondial des lunettes de soleil devrait atteindre 28,8 milliards de dollars en 2025, avec un taux de croissance annuel moyen de 4,5 % depuis 2021. Par ailleurs, les lunettes sont devenues un véritable segment de mode, permettant de fidéliser les clients des grandes maisons et de renforcer la visibilité des marques au quotidien. « Dans l’eyewear, le luxe trouve un relais de croissance structurant, à la croisée du style et de la technologie », analysait Bain & Company dans son rapport 2024 sur le marché mondial du luxe.

Pour Kering, développer une filière en propre permet de sécuriser ses approvisionnements, d’améliorer ses délais de production et de préserver ses marges, à un moment où le groupe cherche à réduire sa dépendance aux performances fluctuantes de Gucci. La montée en puissance de Kering Eyewear devient ainsi une réponse pertinente pour diversifier ses moteurs de croissance tout en consolidant son image d’excellence industrielle.

Une compétition face à des leaders bien installés

Kering Eyewear évolue dans un secteur historiquement dominé par EssilorLuxottica, leader qui contrôle près de 40 % du marché mondial des lunettes en 2024, selon le rapport annuel d’EssilorLuxottica 2024. Le groupe italo-français dispose d’une puissance industrielle et d’un portefeuille impressionnant avec Ray-Ban, Oakley, Prada et Chanel. Mais Kering Eyewear s’impose progressivement comme un challenger crédible. En 2023, la division affichait un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros, avec une croissance de +35 % sur un an.

À titre de comparaison, Safilo, un autre acteur majeur, enregistrait environ 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2024, selon son rapport annuel, mais reste freiné par la perte de licences stratégiques comme Dior ou Fendi ces dernières années. Kering bénéficie ici d’un avantage clé : ses marques maison (Gucci, YSL, Balenciaga) lui assurent une forte autonomie et un contrôle total sur l’image et la distribution de ses collections optiques.

L'ambition d'une transformation industrielle

L’acquisition de Lenti s’inscrit dans une longue série d’investissements industriels. En 2022, Kering Eyewear avait racheté Unt, un fabricant italien d’acétate basé à Longarone, renforçant son expertise sur les matériaux premium. En 2023, la division inaugurait son premier site d’assemblage à Scandicci, près de Florence, marquant une étape clé dans la consolidation de son outil de production localisé en Italie.

En internalisant progressivement les savoir-faire essentiels, de la confection des montures à la fabrication des verres solaires, Kering Eyewear cherche à améliorer sa réactivité, la qualité de ses produits et sa capacité d'innovation. Cette stratégie répond aussi à une demande croissante des consommateurs pour la traçabilité et la fabrication européenne. Cette intégration verticale permettra sans aucun doute au groupe d'offrir des produits d'une qualité supérieure, avec une maîtrise largement renforcée des délais et des processus.

Cette montée en puissance industrielle accompagne les grandes tendances structurantes du secteur du luxe, à savoir la montée en gamme, la durabilité et le contrôle renforcé de la chaîne de valeur.

Une dynamique industrielle en contrepoint à la conjoncture

Alors que Kering a enregistré un recul notable de 14 % de son chiffre d’affaires au premier trimestre 2025, dans un contexte de ralentissement généralisé du luxe — en particulier en Asie-Pacifique — la performance de sa division Eyewear fait figure d’exception. Avec une croissance de 2 % à périmètre comparable, Kering Eyewear confirme sa trajectoire ascendante, soutenue par une bonne dynamique en Europe et dans l’optique, sur fond de demande soutenue et d’exécution industrielle solide. Cette progression modeste mais significative contraste avec le repli prononcé des autres divisions, notamment Gucci (-25 %) et Saint Laurent (-9 %), et vient valider la stratégie de diversification opérée depuis plusieurs années. Dans un contexte de transformation structurelle du groupe, l’eyewear apparaît comme un levier de résilience, combinant marges attractives, renouvellement rapide des collections, et forte affinité avec les codes du luxe.