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Le sursaut trompeur des exportations de montres suisses

By Diane Vanderschelden

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Montre de la marque suisse Rolex. Credits: Francis Bai, Unsplash.

Sous l’effet d’un sursaut de la demande américaine, les exportations horlogères suisses ont bondi de 18,2 % en avril 2025. Mais cette hausse masque surtout une inquiétude profonde du secteur face aux nouveaux tarifs douaniers imposés par Washington.

Une poussée conjoncturelle liée à la politique commerciale américaine

L’industrie horlogère suisse a connu une embellie spectaculaire en avril 2025, avec une hausse de 18,2 % des exportations par rapport à l’année précédente, selon les données de la Fédération de l'industrie horlogère suisse (FH). Une dynamique principalement tirée par les États-Unis, premier marché d’export pour les montres helvétiques, qui a vu ses importations exploser à la veille d’un changement réglementaire majeur.

Selon un article de l’AFP publié le 27 mai 2025, les exportations de montres suisses vers les États-Unis ont grimpé en flèche en avril, bondissant de 149,2 % par rapport à la même période un an plus tôt. Ce pic exceptionnel est la conséquence directe des craintes suscitées par l’instauration annoncée de droits de douane réciproques de 31 % par l’administration américaine.

Sans ces envois massifs vers les États-Unis, la Fédération horlogère souligne que les exportations horlogères suisses auraient en réalité reculé de 6,4 % en avril, traduisant une tendance mitigée, voire morose, sur les autres marchés. En effet, si les exportations progressent légèrement vers le Royaume-Uni (+1,6 %), la France (+4,8 %) ou le Japon (+1,9 %), elles chutent fortement vers la Chine (-30,5 %) et Hong Kong (-22,8 %).

Depuis le 9 avril, les importations suisses, dont les montres de luxe, sont soumises à un droit de douane de 31 %, dans le cadre d’une politique dite de « réciprocité commerciale » initiée par l’administration Trump. Il en résulte un afflux massif de commandes passées en amont par les détaillants américains, afin de constituer des stocks avant l’entrée en vigueur de cette mesure protectionniste.

« Cette hausse des exportations est artificielle : il s’agit d’un phénomène d’anticipation, pas d’un rebond structurel de la demande », analyse un expert cité par Reuters.

Pression sur le marché US

Avec 4,37 milliards de francs suisses d’exportations vers les États-Unis en 2024, soit près de 17 % du total du secteur, le marché américain est essentiel pour les horlogers suisses. La brutalité de la hausse tarifaire a pris de court une industrie habituée à des cycles longs et à une relative stabilité commerciale.

Les marques redoutent une chute brutale de la demande américaine, notamment sur les modèles de gamme intermédiaire, particulièrement sensibles aux hausses de prix. Si les acteurs majeurs comme Rolex, Omega ou Patek Philippe disposent d’un pouvoir de marque qui leur permet d’ajuster les tarifs sans perdre leur clientèle, la situation est plus tendue pour les maisons indépendantes ou émergentes.

« Nous n’avons pas d’autre choix que de répercuter ces 31 % sur nos prix de vente », a déclaré la direction de la marque britannique Christopher Ward, dans un message adressé à ses clients américains, repris par le média Hodinkee.

Les marques s’adaptent en urgence

Face à cette nouvelle donne, certaines marques ont déjà enclenché des ajustements tarifaires sur leurs boutiques en ligne et leurs réseaux de distribution américains. Rolex a par exemple annoncé une hausse de 3 % à 5 % sur plusieurs références dès la mi-avril, rapporte Watch Analytics, tandis que d’autres groupes cherchent à contourner les hausses tarifaires par des transferts logistiques ou des négociations directes avec leurs partenaires aux États-Unis.

Le contexte rappelle les tensions commerciales sino-américaines de la fin des années 2010, mais il prend ici une tournure inédite pour l’horlogerie, historiquement peu exposée à ce type de mesures.

Négociations diplomatiques en cours

Face à ces tensions, la Suisse a engagé des négociations diplomatiques avec les États-Unis. Mi-mai 2025, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le ministre de l'économie Guy Parmelin ont rencontré à Genève le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et le représentant au Commerce Jamieson Greer, en marge des négociations avec la Chine. Ces discussions ont abouti à une pause de 90 jours dans l’application des droits de douane, ouvrant une fenêtre pour une solution durable.

« Nous appelons à une solution équilibrée. L’horlogerie suisse ne doit pas devenir une victime collatérale de conflits commerciaux », a déclaré un porte-parole de la FH à Fortune Europe.

D’éventuelles conséquences durables à anticiper

Malgré le pic d'avril, le secteur anticipe un second semestre 2025 plus incertain, menacé de contraction. La hausse des prix pourrait d'ailleurs avantager les marques américaines ou asiatiques, et même doper le marché nord-américain de la seconde main, déjà en plein essor.

Les marques les plus agiles pourraient revoir leur politique d’implantation, en renforçant par exemple leur présence locale via des assemblages ou des partenariats de distribution délocalisés, à l’image de certaines stratégies déjà expérimentées dans les années 2020 avec la Chine.

Une affaire à suivre pour l’ensemble du luxe européen

Ce nouvel épisode protectionniste rappelle les récentes tensions entre Washington et l’Union européenne, notamment autour des produits agroalimentaires, des véhicules électriques ou des logiciels stratégiques. Il illustre la montée d’un climat de fragmentation commerciale qui pourrait affecter, au-delà des montres suisses, l’ensemble des industries du luxe européen fortement exposées au marché américain : maroquinerie, haute couture, parfumerie ou joaillerie.

Les négociations entre Bruxelles et Washington sont tendues, avec une échéance fixée au 9 juillet. Passé ce délai, la menace brandie par Donald Trump pourrait se concrétiser, avec l’instauration de droits de douane massifs sur les importations européennes.

Dans un contexte électoral américain polarisé et incertain, cette épée de Damoclès tarifaire risque de s’imposer durablement dans les stratégies 2026 des grands groupes du luxe européen, qui réalisent parfois jusqu’à 40 % de leurs ventes aux États-Unis.

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