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« Made in China »: Comment les chinois tentent de faire peau neuve ?

By Anne-Sophie Castro

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Barcelone / Shanghaï. D’un côté il y a les marques occidentales et de l’autre, les marques chinoises. Ou les deux ensemble... Comment réussir à faire cohabiter ces deux cultures dans une même industrie ? La Chine s’est déjà servie des parts du gâteau français en faisant passer plusieurs labels sous pavillon asiatique. Elle s’adonne même aujourd’hui à créer des marques à consonnantes chinoises en Europe. Tous les moyens sont bons pour changer la réputation low cost du « Made in China » et faire valoir une qualité nouvelle, voire meilleure, qui requiert un travail de grande envergure.

Une consommation bipolaire

Sur cet immense territoire peuplé d’ 1,4 milliard d’habitants, dont 25 millions à Shanghaï, la Chine tente de faire converger l’ensemble de ses consommateurs vers un même point. Mais elle n’en est qu’à ses débuts. Tâche ardue pour le géant asiatique qui, selon Bain & Company, évolue au rythme d’une consommation bipolaire et suit les économies émergentes. Là-bas, la copie existe toujours mais, paradoxalement, la Chine achèterait un tiers du luxe dans le monde.

Remplir l’Asie de style français : à quel prix ?

« Le style de vie occidental est toujours primordial pour les consommateurs chinois », affirmait le directeur de Chic Shanghai, Chen Dapeng, à FashionUnited lors de sa dernière édition.

Les appellations d’origine ont la cote chez les asiatiques qui continuent à investir dans les marques françaises. SMCP (Sandro-Maje-Claudie Pierlot), Kidiliz (ex-Zannier), Lanvin ou Sonia Rykiel sont déjà passées aux commandes des chinois. Le style français appartient maintenant clairement à la Chine. Mais, question grandissante : l’essence de ces Maisons sera-t-elle conservée ?

« Dans une certaine mesure elles ont gardé leur ADN car, de toutes façons, le client demande avant tout du lifestyle français. Par contre les produits proposés pour le marché chinois et la qualité ont, eux, vraiment chuté », explique le créateur français, Eric Tibush, installé en Chine. « Les marques de l’Hexagone deviennent commerciales et non plus des marques de créateurs ou innovantes. L’autre problème est que le business est tronqué ici et la Chine entre en récession. Les prix de produits de consommation courante augmentent, la nourriture surtout et l’immobilier. Personne n’arrive plus à vendre. L’Eldorado chinois est une illusion... D’ailleurs, on remarque que de plus en plus de sociétés étrangères quittent Shanghai. Les chinois commencent à se faire du soucis pour l’avenir et réduisent leurs dépenses en articles de mode. Beaucoup de mes amis chinois commencent à préparer leur départ. Les plus riches sont déjà, pour la plupart, hors de Chine et dépensent leur argent ailleurs. Quant aux marques de luxe, hormis la contrefaçon qui est le fléau de notre industrie, leurs résultats de vente ne sont pas réels, d’après certains vendeurs de Gucci et autres que je côtoie. Les boutiques sont vides, alors que vendent-ils ? Je ne vois dans les rue que des contrefaçons de Gucci et Balanciaga portées par des gens qui ne peuvent se payer ces produits. Ce qui se développe le plus ici, ce sont les multimarques. Ils achètent dans les usines chinoises, qui fabriquent des produits pour les marques de « vrai-faux » luxe (contrefaçon de bonne qualité). Aujourd’hui, des rues entières à Shanghaï accueillent ces magasins situés en face de vrais magasins de luxe... En contrepartie, le Japon est en train de vivre un gros rebond économique, mais, à l’inverse, les japonais préfèrent les vrais produits créatifs et les marques de luxe sans logos. »

Pousser ses pions en Europe fait partie de la stratégie chinoise. En effet, d’autres labels britanniques de tayloring, parmi les plus emblematiques de la rue londonnienne Savile Row -et les plus représentatives du style « gentleman »- tels que Hardy Amies ou Gieves & Hawkes, ont également été rachetés par le groupe hongkongais, Fung Capital. Ces acquisitions seraient une main mise sur un segment indémodable.

Changement de paradigme

Les couturiers chinois, Guo Pei et Hyun Mi Nielsen, ont défilé cette année à Paris à la Semaine de la Haute Couture. Et si les collections haute-couture restent encore inaccesibles pour le commun des mortels, les marques chinoises commencent à véhiculer du rêve et du luxe. Pourtant, l’arrivée chinoise dans la mode occidentale ne pourrait finalement se faire entendre qu’à travers la grande distribution et ainsi contribuer à changer le paradigme de façon plus scindante.

Autre fait intéressant, l’utilisation d’une nouvelle étiquette depuis 2014 « Proudly made in China ». Celle-ci est utilisée comme symbole de « ras-le-bol » par des créateurs locaux lassés d’être associés à la contrefaçon et à la basse qualité des produits de mode.

« L’intérêt des consommateurs chinois pour les produits locaux augmente et la deuxième génération de fabricants va réaliser un bouleversement radical. Ils ont étudié en Europe et bientôt, ils reviendront en Chine pour améliorer les usines de leurs parents et les collections qui en proviennent », poursuivait Chen Dapeng.

Capital chinois et gestion occidentale : la recette gagnante?

L’an dernier, le groupe Richemont revendait Shanghai Tang, acquise en 1998, à l’entrepreneur italien Alessandro Bastagli. La marque de prêt-à-porter haut-de-gamme pour femme « n’avait pas le poids d’une marque française ou italienne » et rencontrait de grosses difficultés à se vendre. « Une exportation râtée », cite le magazine Stratégies. « Malgré une implantation en France en 2003, la marque chinoise n’a pas su séduire les occidentaux. L’engouement pour la mode chinoise n’a pas suffi. Trop ancrées dans les mythes orientaux, trop colorées, les collections de Shanghai Tang n'ont pas permis aux consommateurs de se projeter à travers elles ».

Autre marque chinoise ayant tenté l’aventure en Europe : Bosideng. Ce label haut-de-gamme spécialisé dans le tayloring propose des costumes traditionnel au pur style british et opère avec plus de 10 000 points de vente dans son pays d’origine. L’an dernier, la compagnie chinoise annonçait à FashionUnited la fermeture de son magasin de Londres situé sur South Molton Street, après quatre ans d’existence. "Partir en Europe était un objectif de Bosideng depuis un certain temps et nous étions très heureux de nous installer à Londres », révélait Wayne Zhu, le directeur général de Bosideng au Royaume-Uni. Cette décision aurait été renforcée par l’instabilité du marché liée au Brexit.

Aujourd’hui, les entreprises chinoises choisissent d’investir dans des marques occidentales ou de créer leurs propres labels dans des goûts européens.

En Espagne, Lisa Bao est en train de construire son empire de la fast fashion. À la longue, elle pourrait même faire de l’ombre aux magnats du secteurs comme Amancio Ortega (Inditex), Isak Andic (Mango), Karl-Johan Persson (H&M) ou Arthur Ryan (Primark). À 37 ans, cette jeune entrepreneuse a créé Mulaya, une chaîne de mode à capital chinois et entièrement pilotée par des européens ; de la direction marketing à la direction des opérations, en passant par la vente en magasin, provenant tous de marques concurrentes. Mulaya enregistrée en Espagne (berceau des chaînes à succès) en 2008, compte déjà un siège à Madrid, un réseau de 30 magasins sur le territoire et un site de vente en ligne qui frappe fort. Son concept ? Des collections dans l’air du temps d’une qualité raisonnable à des prix accessibles généralement inférieurs à 30 euros. Sa distribution s’inspire fortement de Zara –des mégastores placés dans des endroits stratégiques et des rues prestigieuses- et son image est façonnée par des bloggeuses et inflencers occidentaux sur les réseaux sociaux. Mulaya ne ressemble donc en rien à une marque chinoise. D’autres labels chinois opèrent en Espagne comme Okeysi et Modelisa, basés sur un même concept et qui présument de fabriquer leurs vêtements sur le sol ibérique (dans des ateliers difficiles d’accès aux journalistes). Voici donc une autre façon de faire avaler la pilule du « Made in China » en redéfinissant les formes et les contours.

Photo : Gucci - Ad campaign by Julia Hetta. Gucci Officiel website

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