Michaël Azoulay (American Vintage) : « Le retail, l'expansion, c’est un peu de l’alpinisme »
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Intensifier sa présence et affirmer sa position pour mieux faire face à la concurrence des colosses du prêt-à-porter : tel est le leitmotiv de la marque de mode française American Vintage, qui célèbre cette année ses 20 ans. Un anniversaire marqué par une dynamique de croissance qui fait figure d'exception alors que de nombreuses enseignes du secteur connaissent de sérieuses difficultés.
Fort de ce succès (chiffre d'affaires de près de 200 millions d'euros en 2024), l'entreprise multiplie cette année les ouvertures de boutiques aux États-Unis, à Hong Kong, en Chine, mais aussi au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Espagne et en France.
Pour mieux comprendre cette réussite, FashionUnited a discuté avec son CEO, Michaël Azoulay, des sujets aussi divers que le poids de la formation au sein de la société, le rôle et l'évolution du métier de vendeur, les défis qui s'imposent et les ambitions d’American Vintage.
American Vintage a beaucoup investi sur le volet de la formation. Où en est la marque aujourd’hui ?
Michaël Azoulay : On a effectivement développé notre université qui s'appelle AMV Camp. On y a logé beaucoup de métiers qui bossent essentiellement pour le retail, mais pas seulement car on fait aussi du B2B, bien que cela reste essentiellement nos équipes. On y loge pas mal de choses : merchandising, produit, vente, back office avec toutes les mises à niveau et les connaissances de tous les outils qu'on a, que ce soit en magasin ou au siège. Donc on a développé une batterie d'outils digitaux qui permettent aux équipes d'avoir des applications de data et d’avoir des connaissances en temps réel concernant leur business.
On y a aussi logé le recrutement, le juridique, le RH. C'est aujourd'hui un gros campus qui est au service du commerce, des clients... On développe aussi beaucoup de masterclass chaque semaine, pour différents métiers. On va essayer de former de plus en plus nos équipes.
La marque compte désormais plus de 1 000 salariés. En termes de recrutement, quels sont les principaux défis qui se posent aujourd'hui à une marque aussi internationale qu'American Vintage ?
Garder de la cohésion avec une boîte qui grandit, se développe, se structure. Garder la cohésion entre le point de vente, le terrain, le siège, avec les valeurs d’une entreprise familiale qui n’est pas guidée avec un esprit de financier et qui en même temps fait du business. On doit être hyper bon sur la gestion, le forecast, le développement, mais dans un management cool et exigeant à la fois. Ça veut dire : garder de la bienveillance, de l'exigence, et accepter l’évolution des choses entre les personnes entrantes et sortantes, ne pas devenir une boîte avec des clans. Garder une authenticité. Pour l'instant, on a toujours réussi à le faire, peut-être aussi parce qu'on est resté une boîte familiale hyper présente. Mais il est vrai que quand on se développe, il y a des moments où il y a un peu plus de tensions, des deadlines, de l’urgence, de système D.
Le métier de conseiller de vente a beaucoup évolué. Quel regard portez-vous sur ce poste ?
Pour moi tout part de là. J'ai commencé par ça et serai toujours un fervent supporter de ce métier qu'il faut revaloriser. J’ai 46 ans et quand on était jeune, on apprenait tout quand on travaillait en magasin : le contact avec les gens, avec le produit, prendre confiance en soi, recevoir… Avec les années, il est vrai que c'est devenu un peu « dépassé ». En général, travailler en boutique n’est pas évident, [les gens] ont plus envie d'être dans des bureaux. Alors que le vrai business commence par là.
Ça nous tient à cœur de repenser le magasin de demain, repenser les équipes qui seront, et sont déjà je l’espère, des équipes plus averties. C'est pour cela qu'on pousse beaucoup sur la formation, pour leur faire prendre conscience que cette expérience, qui commence par le magasin, va les libérer, les faire se révéler pour leur avenir. Effectivement, il ne faudra pas passer toute votre vie en magasin parce que c'est usant, mais c'est là où ça commence. D’autant plus qu’on leur donne accès à beaucoup d’outils et de connaissances qui les préparent pour demain, soit pour être capable de manager des réseaux de magasins, soit pour être intégrés, en fonction de leur sensibilité, dans des bureaux, ou ailleurs.
Le shop manager ou le vendeur de demain, aujourd’hui, ça peut être quelqu’un qui sort de quelques années d’école de commerce parce que le magasin de demain sera de plus en plus connecté, de plus en plus tourné vers du trade marketing, avec des équipes qui parlent plusieurs langues, ont accès à des outils d'informations et donc à des connaissances. On va avoir du CRM (nldr. : Customer Relationship Management), des events, c'est complet. Avec une telle dynamique, on pourrait même imaginer prendre bien plus de plaisir en magasin qu'en bureau. Je pense qu'il faut essayer de faire évoluer la vision du job de vendeur ou de chef-manager. Mais pour ça, il faut aussi, en parallèle, avoir des magasins qui vont peut-être externaliser beaucoup plus la livraison, libérer de l'espace, libérer des flux dans le magasin pour être plus focus sur l'expérience client, sur la connaissance et la gestion.
Plusieurs ouvertures sont prévues en Europe ainsi qu'en Chine et aux États-Unis. Quels objectifs macro visez-vous avec cette densification ?
De la présence, de la visibilité. C’est avec ce développement que l’on va essayer de pérenniser les choses. On est dans un métier où nos compétiteurs sont des « monstres ». On est en compétition avec des groupes comme Inditex ou des groupes chinois qui, avec beaucoup de facilité, ont accès aux consommateurs européens et au-delà. Pour que nous ayons accès au consommateur chinois, ou américain, il faut voir la planète comme un pays. C'est ce qui nous permettra de donner la possibilité aux équipes créatives d'avoir des terrains de jeu plus grands et de toujours poursuivre la créativité. On est en direct avec le consommateur et grâce à ça on peut se permettre de pousser toujours la créativité avec des produits nouveaux à tester en permanence, puis, en fonction des performances, de pouvoir les développer à plus grande échelle.
Le retail, l'expansion, c’est un peu de l’alpinisme. Si tu ne montes pas, tu descends. Il y a un éternel mouvement. Il n’y a pas de rupture ou d’arrêt dans l'évolution. On n'est pas dans la fast fashion, on n'est pas dans la compétition à la nouveauté, mais on est dans la course et la compétition au développement, dans la course à la créativité, aux nouvelles matières, à l'évolution du produit, à l'évolution de l'état d'esprit, parce que si tu ne montes pas, tu régresses.
C'est cet état d'esprit de développement qu'il faut garder et qui est aussi un défi. Il s’agit d’avoir toujours un état d'esprit en mouvement. Ce qui ne signifie pas développer pour développer, mais c'est de cette façon, avec un état d'esprit hyper sportif, que l’on pourra rester compétitif, compétiteur.
Vous allez bientôt lancer des produits techniques dédiés à la pratique du sport. Comment la marque va-t-elle se différencier sur ce segment déjà assez concurrentiel ?
Nous n'avons pas la volonté de vouloir le faire à grande échelle avec des magasins dédiés. On a juste envie de faire des rayons qui vont nous aider à développer notre lifestyle. On pense que ça rentre complètement dans l'univers de la marque parce que le sport a toujours été, depuis plus de 15 ans, hyper présent dans l'entreprise. Ici, il faut, au quotidien, avoir un état d'esprit très sportif. C'est pas pour rien qu'on a une salle de sport avec des coachs depuis 15 ans qui donnent la possibilité à nos collaborateurs de s'entraîner chaque jour.
Avec [cette nouvelle ligne], on rentrera davantage dans des produits plus techniques tout en apportant une ADN AMV, une touche plus mode, à travers les matières, les couleurs, ou les prints, quelque chose qu’on ne retrouve pas chez les grandes marques spécialisées qui parlent à un plus grand nombre de personnes car c’est leur fonds de commerce. Nous, notre fonds de commerce, c'est la maille, c'est les collections qui évoluent.