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Nicolas Bonnet-Oulaldj : « Des politiques publiques innovantes au service de l’écosystème de la mode parisienne »

By Florence Julienne

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Business|Interview
Nicolas Bonnet-Oulaldj Credits: F. Julienne

Entretien exclusif : Nicolas Bonnet-Oulaldj, adjoint à la mairie de Paris – commerce, artisanat, professions libérales et métiers de l’art et de la mode, explique à FashionUnited la politique menée par la ville en faveur de la mode.

Quel est votre background dans la mode ?

C’est un nouvel univers. Je suis né dans un milieu ouvrier et communiste. Mon père était artisan. Je suis bien plus familier au monde de l’artisanat et du commerce. En 2015, j’ai proposé à la maire de Paris une mission d’évaluation sur le « Fabriqué à Paris ». L’objectif partait du constat que beaucoup de métiers et de savoir-faire avaient été délocalisés alors que Paris a longtemps été une capitale de la production, notamment dans le textile. Cette proposition a été votée à l’unanimité et a découlé sur des préconisations, dont la création du label « Fabriqué à Paris », afin de valoriser des savoir-faire et d'encourager à consommer local.

Ce label m’a amené à rencontrer de nombreux jeunes créateurs exerçant dans les arts, le design et la mode. À travers cette mission, je me suis rendu compte qu’autant les grands groupes ont délocalisé leur production, autant l’écosystème parisien est constitué de jeunes créateurs indépendants.

Quand Olivia Polski a changé de mandat, on m'a proposé de reprendre son poste. Je suis chargé de cette délégation depuis octobre 2023. Paris reste la capitale de la mode, car la politique publique que nous menons accompagne ces jeunes créateurs. Beaucoup s’installent à Paris pour bénéficier de cette liberté d’expression et de création que la ville offre. C’est une spécificité française.

Quelles sont les aides à la formation mises en place par la mairie de Paris ?

Les fondamentaux de notre politique commencent par les écoles d’art publiques appliquées. Nous assurons le fonctionnement des écoles Duperré, Boule et Estienne. La mode ne se limite pas aux vêtements, elle inclut les accessoires, la mise en scène, le design, etc. Ce sont des univers complémentaires. La créativité naît de cet écosystème. Plusieurs jeunes créateurs de renom ont été formés par ces écoles, dont Jeanne Friot, issue de l’école Duperré, qui a habillé la cavalière des Jeux Olympiques.

La Ville de Paris a également accompagné l’IFM dans son installation et son extension via la validation du permis de construire.

Quels sont vos autres dispositifs ?

Les Ateliers de Paris (rue Faidherbe et faubourg Saint-Antoine) est un incubateur de la Ville de Paris dédié au développement des entreprises de création. Vingt-huit ateliers sont mis à disposition des jeunes créateurs pour un loyer à tarif préférentiel afin de leur permettre de se développer et de fonctionner en synergie. Cet incubateur comprend des formations et des galeries vitrines, qui servent pour les pop-ups. Il compte vingt-huit jeunes par an, soit, depuis la création en 2005, 260 jeunes entrepreneurs et 95 % de taux de réussite, comprenez des professionnels qui évoluent dans l’écosystème de la mode.

Nous sommes également propriétaire de bâtiments d’entreprises via le bailleur social la RIVP (Régie Immobilière de la Ville de Paris). La Caserne, située dans le 10e arrondissement, est un incubateur accélérateur de transition écologique dédié à des jeunes créateurs de la mode durable et éthique. Des ateliers de créations, des espaces de coworking et des salles de réunions sont mis à leur disposition à des loyers modérés.

Les créateurs présents (Jeanne Friot, la marque Domestique, Kevin Germanier, Benjamin Benmoyal, entre autres) sont passés par un comité de sélection organisé par la Ville de Paris. La gestion est déléguée à une société qui doit équilibrer ses comptes. Pour cela, certains espaces sont loués plus cher à des entreprises rentables (comme le groupe WSN), ou privatisés pour des évènements.

Métropole 19, situé dans le 19ᵉ arrondissement parisien, est un hôtel industriel occupé par des artisans qui travaillent le bois ou font des briques avec des vêtements recyclés et de jeunes créateurs, dont Clara Daguin et Marine Serre.

La cité artisanale des Taillandiers, située dans le 11ᵉ arrondissement, est occupée par une vingtaine d’artisans, d’artistes, de designers et de plasticiens.

Dans la Manufacture Berlier, dans le 13ᵉ arrondissement, nous avons installé ce qui a trait à l’économie circulaire. C’est le cas de la créatrice Hawa Sangaré qui emploie plus de trente salariées en insertion professionnelle.

Cette dernière bénéficie également d’une boutique (rue de Seine dans le 6ᵉ) au sein du patrimoine de la Ville via Paris Commerces, un opérateur qui a la possibilité de préempter des locaux commerciaux et de les commercialiser ainsi que ceux appartenant aux bailleurs sociaux de la ville, propriétaires de 7700 locaux.

Paris Commerces est également responsable de la gestion de plusieurs sites emblématiques dédiés à la création, comme le Viaduc des Arts (avenue Daumesnil), les Frigos (75013) ou encore la Cour de l’Industrie (75011).

Ce patrimoine permet notre politique de soutien aux métiers de la création. C’est une spécificité parisienne, à l’échelle nationale et internationale. Il permet à des jeunes de développer leur activité de l’école à la boutique, en passant par l’atelier.

Comment est née cette politique en faveur des jeunes créateurs ?

Elle a commencé en 2001 avec Bertrand Delanoë pour répondre à la délocalisation des entreprises et lutter contre la spéculation foncière et immobilière. Depuis, elle n’a fait que de se renforcer.

Est-ce que vos investissements sont rentabilisés ?

Quand on voit la participation du milieu de la mode au PIB national, je me dis que oui. Par contre, nous souhaiterions que des grands groupes comme LVMH, qui a beaucoup d’immobiliers sur les Champs-Élysées, ou Chanel, qui a fait le choix d’implanter 19M à Paris, Hermès, L’Oréal ou Kering nous aident. Ainsi, les Ateliers de Paris sont associés à un fonds de dotation qui participe financièrement. Je souhaiterais que toutes les grandes marques qui rayonnent à l’international et s’appuient sur des jeunes créateurs renforcent notre écosystème.

La mairie n’est pas dans une logique de marché ou de concurrence. Nous sommes dans une position de politique publique pour conforter nos structures d’aide aux jeunes créateurs et ainsi conserver la place de Paris en tant qu'épicentre de la mode et de la création au niveau international.

Notre mission de service public est de développer la création autour des valeurs de liberté (il faut pouvoir bousculer les choses), du rapport au corps, de l'émancipation féminine ou encore de l'écoresponsabilité pour une mode durable. L’avenir des jeunes créateurs, ce n’est plus notre rôle, mais il y a des exemples pérennes. C’est le cas de Marine Serre.

Quelles sont les retombées économiques de la mode sur Paris (on parle de 1,2 milliard d'euros de retombées par an) ?

C’est le premier moteur économique de la ville. À chaque fashion week, l’écosystème touristique – commerces, restaurants, hôtels, etc. – fonctionne.

La Ville de Paris est également engagée dans la valorisation de savoir-faire d’excellence via les Grands Prix de la Création organisés chaque année. Ils récompensent huit lauréats qui innovent dans le milieu de la mode, du design et des métiers d’art. Au total, plus de 160 créateurs ont été récompensés, tous ont connu une ascension professionnelle par la suite. L’idée que quelqu’un, issu d’un milieu défavorisé, puisse devenir un grand créateur, est possible grâce à ce prix. C’est le cas de Mossi Traoré qui a reçu le prix de l’Engagement en 2024.

Peut-on envisager que la ville redonne vie à des ateliers de fabrication équipés pour promouvoir le label « Fabriqué à Paris » ?

Plus de 2500 produits ont été labellisés depuis 2017 et nous recevons chaque année de plus en plus de candidatures. Nous faisons en sorte de prioriser des créateurs et artisans labellisés au sein de notre patrimoine immobilier, mais le nombre d’ateliers n’est pas suffisant et le parc privé est devenu inaccessible. Il faut donc aller plus loin en continuant d'investir dans le patrimoine immobilier. Une cité artisanale est actuellement en construction dans le 20ᵉ et verra le jour d'ici à 2027, et nous réfléchissons à un nouveau lieu dans le quatorzième.

Nous n’avons la main que sur les lieux et non sur les machines. L’atelier Hawa Paris ou ceux de la Goutte d’Or ont été subventionnés au titre de l’insertion professionnelle et de l’économie circulaire. Je ne dispose pas de lignes budgétaires pour les machines-outils. Cela relève des finances publiques et doit donc répondre à une mission de service public.

Quels sont les projets en cours et ceux que vous allez proposer à l’horizon des élections municipales 2026 ?

Nous souhaitons continuer de renforcer l’aide publique en matière d’immobilier. Nous travaillons également avec la FHCM pour aider davantage les jeunes créateurs à accéder à des lieux pour organiser leurs défilés, qui sont peu nombreux et très chers. Aujourd’hui, nous bénéficions d’un partenariat avec le Palais de Tokyo. L’idée est de développer cette offre, à commencer par les salons de l’Hôtel de Ville ou le Carreau du Temple, à tarifs préférentiels.

Nous souhaitons aussi faciliter l’installation de showrooms, pop-ups et défilés au sein du patrimoine public pour accentuer leur visibilité. L’enjeu de la campagne électorale est de placer la mode au cœur des politiques publiques. C’est un enjeu pour la culture, l’emploi, l’émancipation ou l’environnement. Je suis pour une mode durable qui n’incite pas les consommateurs à jeter. Je désire développer des ateliers qui ne soient pas uniquement destinés aux prototypes. Relocaliser la fabrication est un enjeu essentiel pour notre avenir, je continuerai à en faire ma priorité.

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