Shein, Temu, AliExpress : le coup d’arrêt de l’exemption douanière aux États-Unis rebat les cartes
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Depuis le 2 mai 2025, les États-Unis ont mis fin à une règle douanière qui permettait aux plateformes chinoises comme Shein, Temu et AliExpress d’inonder le marché américain de produits bon marché. Cette rupture brutale du régime "de minimis" bouleverse leur modèle économique et rebat les cartes du commerce en ligne mondial.
Les États-Unis durcissent leur position vis-à-vis des importations chinoises
Depuis le 2 mai à 04h01 GMT, tous les colis expédiés de Chine ou de Hong Kong vers les États-Unis, quelle que soit leur valeur, sont désormais soumis à des droits de douane particulièrement dissuasifs. La fin de l’exemption dite "de minimis", qui exonérait de taxes les envois de moins de 800 dollars, met fin à une exception qui avait permis aux géants chinois du e-commerce de prospérer sur le marché américain.
Désormais, les colis convoyés par des transporteurs privés comme UPS ou FedEx sont frappés de 145 % de droits de douane. Ceux transportés par les services postaux sont soumis soit à une taxation de 120 %, soit à un forfait de 100 dollars, qui passera à 200 dollars dès le 1er juin. Cette mesure s'inscrit dans un durcissement général de la guerre commerciale entre Washington et Pékin, relancé sous l’impulsion du président Donald Trump, indique l’AFP.
Une fragilisation prévisible : les premiers effets dès février
Si l’entrée en vigueur de la mesure est récente, son annonce dès le mois de février a provoqué une onde de choc immédiate. Selon des données de Bloomberg Second Measure, relayées par Invezz, les ventes de Shein ont chuté de 16 % à 41 % dans les cinq jours suivant l’annonce, tandis que Temu a vu les siennes baisser jusqu’à 32 %. Ce recul brutal s’explique par une anticipation du renchérissement des prix par les consommateurs américains, sensibles à toute hausse de coût. L’effet psychologique de la mesure a été immédiat : « l’annonce seule a suffi à freiner les achats sur ces plateformes, pourtant en forte croissance », résume Invezz.
Un modèle économique mis sous pression
La suppression de l’exemption douanière remet en cause un modèle fondé sur des prix ultra-compétitifs rendus possibles par l’absence de taxation. Sur AliExpress, les effets sont déjà visibles : un simple achat d’écouteurs à 8,74 dollars se transforme en une facture de 21,41 dollars après l’ajout de 145 % de droits de douane, comme l’a constaté l’AFP. Avec plus de 4 millions de colis par jour concernés par cette exemption, selon la Maison Blanche, l’impact est d’autant plus massif qu’il touche une très large part du e-commerce transpacifique.
Réactions contrastées : entre contournement logistique et réorientation stratégique
Face à ce bouleversement, les plateformes chinoises réagissent. Temu, propriété de PDD Holdings, met désormais en avant une étiquette "Local" sur les produits déjà stockés dans des entrepôts américains. Ce positionnement vise à rassurer les consommateurs : « Cela signifie que vous n’aurez pas à payer de frais douaniers », précise le site. Une stratégie qui repose sur des stocks limités, sans possibilité de réassort bon marché depuis la Chine, ce qui pose la question de sa soutenabilité à moyen terme.
De son côté, Shein tente de compenser la perte de vitesse sur le marché américain par une offensive en Europe. Selon Reuters, la plateforme a augmenté de 35 % ses dépenses publicitaires au Royaume-Uni et en France en avril. L’objectif : repositionner son cœur de croissance sur des marchés où l’environnement réglementaire reste, pour l’instant, plus favorable.
Mais cette stratégie comporte aussi des risques. D’après City A.M., la firme aurait suspendu ses projets d’introduction en Bourse à Londres, citant les incertitudes croissantes autour des politiques commerciales internationales. Deux agences de communication engagées pour piloter l’IPO auraient également quitté le projet. Cette décision, intervenue le jour même de la fin de l’exemption « de minimis » aux États-Unis, souligne la difficulté pour Shein de sécuriser un ancrage stratégique hors de Chine dans un contexte géopolitique tendu.
Les consommateurs et PME pris en étau
La disparition du régime de minimis impacte directement les consommateurs américains, traditionnellement friands de produits bon marché. Les hausses de prix induites par les nouvelles taxes, évaluées entre 20 et 50 % selon les estimations relayées par Air Cargo News, réduisent leur pouvoir d’achat et alimentent les tensions inflationnistes déjà sensibles dans la distribution.
Les petites entreprises utilisant les plateformes chinoises pour s’approvisionner ou vendre à l’international risquent aussi d’y laisser des plumes. La multiplication des barrières tarifaires complexifie leur logistique et fragilise leur rentabilité.
Vers une recomposition géopolitique du e-commerce mondial
Au-delà de la seule rivalité commerciale sino-américaine, cette décision marque une redéfinition des règles du commerce international dans le secteur numérique. Elle souligne l’importance stratégique prise par la logistique, la localisation des stocks et l’autonomie commerciale dans un contexte de tensions géopolitiques. « Les droits de douane atteignent un tel niveau que cela produit un effet d’embargo », a estimé à plusieurs reprises le ministre américain des Finances Scott Bessent, cité par l’AFP. Si Washington laisse entendre une volonté de désescalade, Pékin se contente pour l’instant de « considérer une proposition de négociation ».
En attendant, les investisseurs restent optimistes : à la Bourse de New York, les actions de PDD (NASDAQ: PDD), Alibaba (NYSE: BABA) et JD.com (NASDAQ: JD) ont progressé respectivement de 4,34 %, 3,77 % et 4,12 % le jour de l’entrée en vigueur des nouvelles règles, misant sur une adaptation rapide ou une détente prochaine, note l’AFP.
Une bascule historique pour le commerce numérique
Avec la fin de l’exemption de minimis, les États-Unis redessinent les contours de leur souveraineté commerciale numérique. Pour les géants chinois du e-commerce, l’heure est à la réinvention. Pour les consommateurs, à l’adaptation. Et pour les États, à la définition d’un nouveau cadre global, entre libre-échange et protectionnisme assumé.