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Tensions au Moyen-Orient : quels impacts sur la chaîne d’approvisionnement de la mode ?

By Diane Vanderschelden

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Tabriz city Credits: Mohammad Mardani, Unsplash

Alors que les tensions militaires s’exacerbent entre Israël et l’Iran, le commerce mondial retient son souffle. Au cœur des inquiétudes : le détroit d’Ormuz, ce corridor maritime stratégique par lequel transite près d’un tiers du pétrole mondial. Si ce passage venait à être bloqué ou sérieusement perturbé, les répercussions ne se limiteraient pas aux marchés énergétiques. Le secteur de la mode, que l’on croit souvent éloigné de ces considérations géopolitiques, pourrait en ressentir les secousses de manière soudaine et brusque.

Un secteur dépendant du pétrole

L’industrie de la mode est volontiers perçue comme légère, cosmopolite et créative. Pourtant, ses fondations sont étroitement liées aux énergies fossiles. De la fabrication du polyester – une fibre issue du pétrole – au transport maritime en conteneur, toute la chaîne d’approvisionnement s’appuie sur le pétrole, aussi bien comme matière première que comme levier logistique. Un blocage du détroit d’Ormuz entraînerait une flambée des prix du brut et du gaz naturel liquéfié (GNL), avec des répercussions immédiates sur les coûts de production, de transport et de distribution. La fabrication de vêtements deviendrait plus onéreuse, et leur acheminement vers l’Europe et les États-Unis serait ralenti et renchéri.

Une chaîne d’approvisionnement sous tension

Depuis la pandémie de Covid-19, la chaîne logistique de la mode n’a jamais vraiment retrouvé son équilibre. Les tensions commerciales, la guerre en Ukraine, l’inflation galopante de 2022 et plus récemment les perturbations en mer Rouge ont déjà mis à mal les stratégies de production en flux tendus. Les nouvelles menaces qui pèsent sur le Moyen-Orient ajoutent un degré d’incertitude supplémentaire : elles pourraient rallonger les délais de livraison, contraindre les transporteurs à modifier leurs routes et faire grimper les coûts à un niveau critique. « Toute perturbation dans le détroit d'Ormuz aurait des répercussions rapides sur le secteur manufacturier européen, déjà fragilisé par sa dépendance au GNL qatari et aux hydrocarbures en général », alerte Marco Forgione, directeur général du Chartered Institute for Exports and International Trade, cité par Euronews.

Matières premières et logistique sous pression

Le textile est une industrie mondialisée, largement tributaire des importations. Coton, polyester, viscose : ces matières premières proviennent de multiples régions, mais le polyester, en particulier, est directement indexé sur le cours du pétrole. Une envolée des prix du brut impacterait donc non seulement les coûts des fibres synthétiques, mais aussi ceux des colorants chimiques utilisés dans la teinture des tissus. Par ailleurs, une grande partie des vêtements et composants textiles sont produits en Asie – Inde, Bangladesh, Pakistan, Chine – et transitent par des routes maritimes désormais exposées aux aléas géopolitiques. En cas de perturbation dans le détroit d'Ormuz, les transporteurs devraient contourner la zone, ce qui allongerait considérablement les délais et générerait des surcoûts importants, rappelle le média Koha.

Les PME en première ligne

Les grandes marques internationales disposent, pour la plupart, de stocks de sécurité et de ressources financières suffisantes pour absorber, au moins temporairement, les chocs logistiques. Ce n’est pas le cas des petites et moyennes entreprises, des jeunes marques ou des DNVB (digital native vertical brands), souvent très exposées à la volatilité des coûts et à la moindre perturbation des flux internationaux. « Il est certain que les chefs d'entreprise s'arrachent les cheveux surtout les dirigeants de PME, de micro-entreprises et de petites et moyennes entreprises », estime Marco Forgione. « Il s'agit d'un nouvel épisode d'incertitude et de bouleversements, qui vient s'ajouter aux annonces de droits de douane par les États-Unis et à l'agitation qui règne actuellement dans la mer Rouge et dans le passage de Suez ».

Pour ces acteurs, chaque retard de container ou hausse de fret peut menacer l’équilibre financier. Certaines entreprises avaient d’ailleurs commencé à relocaliser une partie de leur production dans le bassin méditerranéen – en Tunisie, en Turquie, en Grèce – dans une logique de nearshoring. Mais cette stratégie pourrait elle aussi être remise en question si l’instabilité géopolitique venait à s’étendre à l’ensemble de la région. « Vous savez, toute personne impliquée dans une chaîne d'approvisionnement est vraiment à la limite, essayant de gérer une énorme complexité. C'est comme jouer aux échecs en quatre dimensions, en essayant de gérer toutes les complexités et les pressions auxquelles on est confronté », poursuit Marco Forgione.

Une redéfinition des routes logistiques ?

Face à cette menace, l’Europe devra sans doute accélérer la diversification de ses voies d’approvisionnement. La Grèce, à condition d’investir massivement dans ses infrastructures portuaires et ferroviaires, pourrait devenir une plateforme logistique clé pour les marchandises en provenance d’Asie centrale et de Turquie. Mais une telle transformation nécessiterait une modernisation profonde : numérisation des procédures douanières, optimisation des réseaux ferroviaires, amélioration des capacités portuaires. Dans le même temps, les enseignes de mode les plus réactives pourraient investir davantage dans l’automatisation de leurs entrepôts européens et multiplier les centres de distribution régionaux afin de limiter leur dépendance aux hubs mondiaux les plus vulnérables.

Une incertitude qui s’installe

À ce stade, trois trajectoires semblent possibles. Une escalade durable du conflit israélo-iranien entraînerait une flambée prolongée des prix de l’énergie, une désorganisation majeure des chaînes de valeur et une inflation persistante sur les prix des vêtements. Une crise courte mais intense aurait des effets logistiques temporaires, avec des tensions sur les délais et les marges, mais une adaptation rapide par reroutage des flux. Enfin, un retour à la diplomatie permettrait d’éviter une crise majeure, tout en renforçant la prise de conscience des entreprises quant à la fragilité durable de leurs chaînes d’approvisionnement.

La mode face à son dilemme énergétique

Le conflit israélo-iranien, aussi lointain semble-t-il des préoccupations stylistiques, rappelle une vérité structurelle, celle que l’industrie de la mode reste hautement dépendante du pétrole. Qu’il s’agisse des fibres synthétiques ou du transport maritime, l’or noir irrigue toute la chaîne de valeur. Cette dépendance invite les entreprises du secteur à repenser en profondeur leurs approvisionnements, en les rendant plus proches, plus diversifiés et moins carbonés. Un impératif stratégique, mais aussi une nécessité économique et écologique.

Chaîne d’approvisionnement
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