Un été asiatique sous le signe du mouvement
Alors que les résultats financiers 2024–2025 témoignent d’un ralentissement de la consommation dans plusieurs pays asiatiques – en particulier pour les groupes de luxe comme LVMH – le secteur textile mondial continue, lui, de miser sur la région. Plusieurs indicateurs du premier semestre 2025 confirment la centralité de l’Asie dans les chaînes de valeur mondiales.
Entre croissance des exportations, ajustements structurels, pression sur les marges, réformes réglementaires et stratégies de relocalisation partielle, l’Asie reste un pilier stratégique de la production textile internationale.
Mais ses équilibres internes se redessinent sous l’effet d’une concurrence croissante entre ses grandes puissances manufacturières.
Chine : un leadership résilient sous contrainte
Poids lourd incontesté de l’industrie textile mondiale, la Chine a exporté pour 143,977 milliards de dollars de textiles et vêtements sur le premier semestre 2025, selon les données des douanes chinoises. Ce volume confirme la robustesse de sa position à l’export, malgré un environnement intérieur dégradé et une consommation nationale atone.
Ce maintien s’explique par plusieurs facteurs. Une chaîne d’approvisionnement hautement intégrée, des capacités logistiques performantes, et une adaptation rapide aux exigences de traçabilité et de durabilité demandées par les donneurs d’ordre occidentaux.
Autrement dit, la Chine compense son essoufflement domestique par une agressivité accrue à l’export, tout en s’adaptant aux nouvelles normes internationales, notamment en matière d’ESG. Face à la montée des coûts et aux pressions réglementaires, certaines entreprises chinoises commencent d’ailleurs à relocaliser leurs unités vers l’intérieur du pays ou à externaliser vers des partenaires du Sud-Est asiatique.
Inde : dynamisme local et diplomatie commerciale
En Inde, le regain de demande observé à Ludhiana, un cluster clé de la filière textile, reflète une reprise progressive de la consommation intérieure, portée par l’effet post-électoral et des perspectives macroéconomiques plus stables. Les prix du fil de coton y sont en hausse, signe d’une activité industrielle en redémarrage, selon le Times of India.
Mais le véritable levier pourrait venir des politiques publiques. Le projet de « notation des entreprises textiles pour faciliter l’accès au crédit », envisagé par le ministère du Textile, et évoqué par le Business Standard, s’inscrit dans une logique de structuration du secteur, visant à renforcer sa bancabilité et son attractivité pour les investisseurs.
Dans le même temps, l’accord de libre-échange entre l’Inde et l’AELE, applicable dès le 1er octobre 2025, constitue un levier géoéconomique majeur. Il permet à l’Inde de diversifier ses débouchés face à la concurrence chinoise, notamment en ciblant les marchés suisses et norvégiens.
L’ensemble de ces initiatives s’inscrit dans une stratégie plus large visant à faire de l’Inde une alternative crédible à la Chine dans la chaîne d’approvisionnement mondiale.
Japon : un marché mûr, mais essentiel
Le Japon confirme son statut de marché stratégique à haute valeur ajoutée pour les exportateurs asiatiques. Avec 12,1 milliards de dollars d’importations de vêtements sur les six premiers mois de 2025 (+6,8 %), la demande reste soutenue, en dépit d’un contexte économique globalement morose.
Cette dynamique repose sur un pouvoir d’achat stable, une appétence forte pour la mode, et une très faible production domestique, ce qui rend le pays structurellement dépendant des importations, notamment en provenance de Chine, Vietnam et Bangladesh.
Bangladesh : vulnérabilité logistique et arbitrages en cours
Le Bangladesh, deuxième exportateur mondial de vêtements, fait face à une hausse significative des coûts logistiques et de traitement portuaire, selon la BGMEA. Ces tensions, couplées à une pression croissante des marques sur les prix d’achat, fragilisent sa compétitivité relative.
Cela pourrait encourager certaines enseignes à opérer un rééquilibrage de leur sourcing vers l’Asie du Sud-Est (Vietnam, Indonésie, Cambodge), voire vers l’Afrique de l’Est ou des circuits nearshoring plus proches de l’Europe.
Malgré ces défis, le pays bénéficie encore d’un avantage comparatif sur les coûts salariaux, et d’une politique volontariste de modernisation de ses infrastructures.
Mais la fenêtre d’opportunité se rétrécit. Le Bangladesh doit impérativement accélérer sa montée en gamme et sa transition ESG s’il veut éviter d’être marginalisé par des concurrents plus flexibles et moins exposés.
Une région toujours incontournable
La conjonction de ces dynamiques nationales illustre un mouvement d’ensemble, celui où l’Asie devient un espace économique différencié, où chaque pays cherche à consolider ses atouts – capacité d’export, tissu industriel, accès aux financements, accords commerciaux – pour maintenir ou renforcer sa place dans la chaîne de valeur mondiale.
Pour les marques européennes et américaines, il ne s’agit plus de choisir l’Asie comme un bloc, mais de composer un portefeuille d’approvisionnement dynamique, combinant fiabilité logistique, alignement réglementaire et opportunités commerciales locales.
Dans tous les cas, l’agilité de sourcing, la capacité d’adaptation aux normes ESG, et la lecture fine des accords bilatéraux seront des atouts décisifs pour les directions achats du secteur mode et textile.
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