Vote sur la loi anti-fast fashion du 10 juin : enjeux, mesures clés et perspectives législatives
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Ce mardi 10 juin 2025, le Sénat se prononcera en séance solennelle sur la proposition de loi « visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile », un texte porté par la députée Horizons Anne-Cécile Violland et déjà adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Derrière les termes techniques et les débats parlementaires se dessine une évolution notable de la politique environnementale française, avec une cible précise : la fast fashion, et plus encore la « mode ultra express », incarnée par des plateformes comme Shein ou Temu. Décryptage.
Une "loi anti-Shein" ? Focus sur une cible assumé
C’est une première, le législateur français nomme et cible une pratique commerciale dans ce qu’elle a de plus vorace. Le texte crée une définition juridique de la « mode ultra express » – traduction française du phénomène connu sous le nom de ultra fast fashion. Ce modèle repose sur une rotation incessante de nouvelles références textiles à très bas coût, souvent mises en vente en quelques jours après leur conception.
À l’opposé, H&M (290 références/jour pour les femmes) et Zara apparaissent moins exposés, bien qu’acteurs de la fast fashion. Par le biais de cette loi, le Sénat affiche clairement sa volonté de sanctionner les plateformes non établies en France, qui se soustraient aux impôts, à la législation du travail et à toute contribution au tissu économique local.
Pour les sénateurs comme Sylvie Valente Le Hir (LR), il ne s'agit pas de punir le textile d’entrée de gamme, mais de réserver les sanctions aux entreprises déterritorialisées. Cette distinction, bien que pragmatique, soulève des critiques sur son équité et sa constitutionnalité, notamment concernant la liberté de communication commerciale.
Shein, Temu ou AliExpress figurent ainsi parmi les principales cibles du texte. Ces plateformes envahissent le marché européen avec des vêtements produits principalement en Asie, le plus souvent en Chine, dans des conditions sociales et environnementales opaques. L’écart d’échelle entre fast fashion et ultra fast fashion est saisissant. Là où Shein peut mettre en ligne jusqu’à 7 000 nouvelles références par jour, H&M ou Zara n’en proposent que quelques centaines.
Les cinq leviers d’action de la loi
Une définition juridique ciblée de la fast fashion
La première mesure introduit une définition juridique de la fast fashion dans le Code de l’environnement, en la restreignant à la « mode ultra express ». Ce ciblage permet de distinguer les acteurs fondés sur un renouvellement extrêmement rapide des collections, sans englober les enseignes françaises d’entrée de gamme.
Plus de transparence pour les consommateurs
Ensuite, la loi renforce l’information du consommateur. Les plateformes concernées devront mentionner de manière explicite l’impact environnemental et social des produits vendus, indiquer leur origine géographique, et ne plus faire figurer de mentions telles que « livraison gratuite » dans leurs communications publicitaires.
Le renforcement du principe du pollueur-payeur
Troisièmement, le texte consolide le principe du pollueur-payeur. Les entreprises pratiquant la mode ultra express devront s’acquitter d’éco-contributions plus élevées pour les articles jugés peu durables. Ces contributions, qui pourraient atteindre 10 euros par article d’ici 2030, alimenteront un système de bonus destiné aux marques plus responsables.
Une interdiction stricte de la publicité pour la fast fashion
Quatrièmement, la proposition de loi interdit toute publicité en faveur de la fast fashion. Cette interdiction s’appliquera aussi bien aux médias traditionnels qu’aux contenus d’influence sur les réseaux sociaux, y compris lorsque les partenariats ne sont pas rémunérés. Les contrevenants s’exposeront à des amendes pouvant aller jusqu’à 100 000 euros.
Une taxation ciblée des colis extracommunautaires
Enfin, une taxe est instaurée sur les petits colis envoyés depuis des pays situés hors de l’Union européenne. Cette mesure vise principalement les livraisons depuis la Chine, en imposant un prélèvement de 2 à 4 euros par colis sur les plateformes comme Shein ou Temu, aujourd’hui exemptées de nombreux droits d’entrée.
Une réponse politique à une urgence environnementale et économique
Le projet s’attaque à une industrie textile devenue l’une des plus polluantes au monde : près de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, des millions de tonnes de déchets, un gaspillage d’eau massif, et un modèle économique reposant sur l’exploitation de main-d’œuvre dans des pays tiers. En parallèle, le secteur textile français s’effondre depuis les années 1990, avec un nombre d’emplois divisé par trois.
La loi s’inscrit dans un continuum législatif. Après la loi Anti-gaspillage (2020) et la loi Climat et résilience (2021), elle ambitionne d’aller plus loin. Elle ne vise pas l’ensemble du textile low-cost, mais la rapidité et l’intensité du renouvellement des collections, et surtout les acteurs étrangers sans ancrage territorial ni contrainte environnementale. En filigrane, une logique de protection économique indirecte du tissu industriel français.
Un parcours législatif loin d’être terminé
Le 10 juin, le Sénat devrait adopter très largement le texte, dans un rare consensus transpartisan. Le gouvernement, par la voix de la ministre Agnès Pannier-Runacher, soutient activement l’initiative. Une notification à la Commission européenne est prévue, afin d’éviter tout contentieux juridique sur des mesures de nature protectionniste.
À l’issue du vote, une commission mixte paritaire (CMP) devra se réunir à l’automne. C’est elle qui déterminera la version finale du texte, en harmonisant les apports du Sénat et de l’Assemblée. L’adoption définitive pourrait intervenir avant la fin de l’année 2025.
Quels enjeux pour la suite ?
L’un des enjeux majeurs sera la solidité juridique de cette loi, notamment sur le terrain constitutionnel. L’interdiction de la publicité pour certaines marques soulève en effet des questions sur la liberté d’expression commerciale, qui pourrait être invoquée par les plateformes ou les influenceurs concernés.
Un autre enjeu central concerne l’Europe. Pour éviter les accusations de protectionnisme déguisé, le gouvernement a prévu de notifier la loi à la Commission européenne. L’ambition, assumée par la ministre de la Transition écologique, est d’en faire un tremplin pour une régulation à l’échelle continentale.
Enfin, l’efficacité concrète du texte dépendra largement des décrets d’application et du contrôle effectif des obligations. Sans moyens de contrôle renforcés pour la DGCCRF et les douanes, les sanctions prévues pourraient rester théoriques. En toile de fond, c’est aussi une question de modèle économique, celui d’encourager les circuits courts, la réparation et la sobriété contre l’illusion de la mode illimitée à bas prix.