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Addictions aux plateformes de mode de seconde main : une étude révèle les risques

Quand la passion pour la mode se transforme en addiction sur les plateformes de seconde main. Une réalité décryptée par Marie Boudi, doctorante à l’université de Bordeaux, dans un entretien avec FashionUnited.
Mode|Exclusif
L'application Depop, société spécialisée dans la mode de seconde main. Credits: Depop newsroom.
By Julia Garel

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Alors que les addictions aux réseaux sociaux font aujourd’hui l'objet de nombreuses études, une dépendance à un autre type de plateforme en ligne commence à susciter l'intérêt du monde scientifique : l’addiction aux plateformes de mode de seconde main.

À Bordeaux, la doctorante Marie Boudi met à jour le développement d’un comportement problématique lié aux plateformes et applications de vêtements, chaussures et accessoires d'occasion telles que Vinted, Depop ou Vestiaire Collective. En basant sa thèse sur la théorie du chercheur canadien Vallerand, l’universitaire fait la lumière sur un risque majeur pour l’utilisateur : le passage d'une « passion harmonieuse » pour la mode à une « passion obsessive », où l'utilisateur perd le contrôle total de son activité sur la plateforme.

Quand l’amour pour la mode tourne à l'obsession

Selon une récente étude de l’Institut Français de la Mode (IFM), c’est désormais une entreprise de seconde main, Vinted, qui réalise le plus grand volume de ventes de mode en France. Elle devance ainsi Amazon et Kiabi, deux poids lourds du secteur.

Plusieurs éléments expliquent ce succès. Les utilisateurs d’applications comme Vinted se rendent sur ce type de plateforme pour des raisons économiques, écologiques où par amour de la mode et de la fripe. C'est sur ce dernier point, celui d'une passion pour la mode, que Marie Boudi nous explique avoir concentré ses recherches. Au fil de ses entretiens avec divers utilisateurs, la chercheuse a observé ce qu’elle nomme le « débordement » de cette passion qualifiée, au départ, d’« harmonieuse », selon la formule du théoricien Vallerand. Le recours aux applications de mode vintage ou de seconde main tourne alors à l'obsession, dite aussi « passion obsessive ».

« J'étais constamment dans les points relais [...] je me suis dit, je suis peut-être un peu en train d'abuser. »

Charlotte, utilisatrice de plateformes de seconde main, interrogée par Marie Boudi.

Ce qui relève initialement d'un attrait pour l’esthétique, les tendances ou le shopping, se transforme en un besoin compulsif d'achat. « J'étais constamment dans les points relais [...] je me suis dit, je suis peut-être un peu en train d'abuser », a confié Charlotte, une utilisatrice de plateformes de seconde main, interrogée par Marie Boudi. Tandis qu’une autre personne interviewée lui avoue avoir eu l’impression de « dépendre de cette plateforme ».

Des commentaires issus d’un article publié par le magazine Marie Claire en 2024 corroborent l’idée d’un rapport toxique aux plateformes de seconde main. « J'ai découvert Vinted, il y a cinq ans. Au début, j'en avais un usage sain, mais au bout d'un moment, c'est devenu une addiction », confiait au magazine Lola-Marie, une étudiante à Bruxelles.

Image de l'entreprise de seconde main Vinted. Credits: Vinted

En cause : le choix immense, presque infini, d’articles, mais aussi les petits prix. Selon Marie, l’utilisateur est amené à penser : « J'ai plus de pouvoir d'achat sur ces plateformes d'occasion, je peux me faire un peu plus plaisir. Les prix sont attractifs et il y a du choix. »

« La satisfaction et l'excitation rencontrées au cours du parcours d'achat sont des sentiments que ces consommateurs veulent à chaque fois retrouver et qui poussent à sur-consommer sur ces plateformes », explique la doctorante lors d'un entretien avec FashionUnited. Si, au premier abord, ces sentiments semblent plutôt positifs, ils entraînent finalement un cycle d'achats répétés et des sentiments plus négatifs, comme la culpabilité et le regret.

L’achat décomplexé

La mode de seconde main jouit aujourd’hui d’une image positive en termes d'impacts écologiques. Les pièces achetées ayant déjà été portées, les conséquences sur l’environnement sont bien inférieures à l’achat d’articles neufs, dont la production reste, dans la plupart des cas, plus polluante (abondante consommation d’eau, utilisation de produits chimiques, émissions de gaz à effet). Par ailleurs, la mode d’occasion donne une seconde vie à des millions de vêtements et évite ainsi qu’ils finissent prématurément à la poubelle ou dans des décharges à ciel ouvert largement pointés du doigt dans les médias ces dernières années.

L’éveil des consciences environnementales a contribué au boom de la mode de seconde main, les consommateurs étant convaincus de réaliser sur les plateformes spécialisées un achat raisonné. Un sentiment alimenté par le discours des équipes marketing des sociétés en question, lesquelles ont copieusement capitalisé sur cet argument écologique.

Ce discours passe notamment par les rapports annuels de ces entreprises sur leur impact environnemental. Consultés par FashionUnited, ces documents mettent en avant les avantages écologiques que représente l’achat d’une pièce de seconde main en comparaison avec l’achat d’une pièce neuve. « La planète s’en trouve meilleure quand on opte pour le luxe d’occasion », déclarait la plateforme française Vestiaire Collective dans son Circularity Report de 2024.

Si l’on confronte l’empreinte carbone de ces entreprises à celle des grands groupes de mode ou des marques de fast fashion, les chiffres des premières sont en effet moins importants. Par exemple, celui de Vestiaire Collective est de 18 992 de tonnes de CO2 (2023), celui de Depop de 20 059 de tonnes de CO2 (2022), tandis que celui du groupe H&M s’élève à 8,5 millions de tonnes de CO2 (toutes marques confondues), celui de Shein à 9,17 millions de tonnes de CO2 (2022) et celui d’une marque comme Kiabi atteint 2,7 millions de tonnes de CO2 (2022).

Mais alors que l’explication des calculs comparant l’impact environnemental d’un achat de produit neuf avec celui d’un produit de seconde main apparaît clairement dans les rapports dédiés à l’impact écologique, ces derniers ne détaillent pas l’impact réel d’un article sur leur plateforme (notamment son transport). Savoir que celui-ci est inférieur à l’achat d’une pièce neuve suffit à le présenter comme un achat raisonnable.

Quant au potentiel problème de surconsommation, la société Vinted a pris les devants. Dans un rapport publié en 2024, elle écrit : « La majorité (65 %) des acheteurs sur Vinted déclarent préférer acheter moins d'articles de mode, mais plus chers et durables, plutôt que de grandes quantités d'articles bon marché. Seul un petit groupe de membres (18 %) déclare avoir acheté quelque chose sur Vinted parce qu'ils parcouraient le site et ont aimé l'article. En France, ce groupe est encore plus restreint, avec 12 % d'“acheteurs spontanés”. »

« Faites vos recherches avec intention. Tâchez de ne pas céder aux achats spontanés. »

Vinted (Our Impact Report 2023)

Pourtant, une étude publiée en 2023 par l’Ademe (Agence de la transition écologique) contredit ces données. Elle indique que les consommateurs d’objets d’occasion (article de mode compris) estiment en grande majorité (86%) que cela leur permet d’acheter plus d’objets pour moins cher.

Au regard de plusieurs notes publiées dans le rapport de l’impact écologique 2023 de Vinted, la société semble consciente du risque possible de surconsommation sur sa plateforme. Voici les commentaires relevés par FashionUnited.

« Faites vos recherches avec intention. Tâchez de ne pas céder aux achats spontanés » ; « La qualité prime sur la quantité. Qu'il s'agisse d'articles d'occasion ou neufs, il vaut mieux investir dans moins d'articles, mais de qualité » ; « Établissez un budget afin de pouvoir planifier vos dépenses en fonction de ce dont vous avez réellement besoin. »

Renouvellement constant, offre infinie

Chaque jour, chaque seconde, l’offre des plateformes de seconde main s’étoffe. De nouvelles chaussures, robes ou sacs sont constamment mis en ligne par des utilisateurs-vendeurs et alimentent le catalogue sans discontinuité. En 2022, Vinted déclarait que plus de 800 millions d’articles avaient été mis en vente sur sa plateforme durant l’année.

Ce renouvellement constant – tout comme les notifications – incite le consommateur à consulter ces applications à chaque instant de la journée et multiplie donc les occasions d’acheter. D’autant plus que, comme l'explique Marie Boudi à FashionUnited, « savoir que l’article peut être revendu donne aux consommateurs un sentiment de sécurité qui les incite à acheter plus librement et de manière décomplexée ».

Mais la surconsommation n’est pas l’unique problème. Tomber dans une « passion obsessive » et perdre le contrôle de son activité sur la plateforme comporte d'autres préjudices.

L'addiction

« J'ouvre Vinted comme j'ouvre un réseau social » fait partie des phrases relevées durant les entretiens menés par la doctorante. « Cela veut dire que quand je suis dans un bus, que j'attends le métro, ou que je suis dans un transport, si je ne sais pas quoi faire, j'ouvre Vinted et je scroll pour regarder ce qu'il y a sur l'application », en déduit l’universitaire avant d’ajouter : « Une personne me disait que c'était vraiment un réflexe facile ».

Les termes « addict », « dépendance » « réflexe », « excitation » et « satisfaction » ont été plusieurs fois employés par les personnes que Marie Boudi a interrogées. Autant de termes que l’on relie aussi à l’utilisation excessive des réseaux sociaux et dont les dangers sur la santé psychologique ont été démontrés.

Aujourd'hui, on sait en effet que les réseaux tels que Instagram, TikTok, YouTube ou X (anciennement Twitter), exercent une influence significative sur le bien-être psychologique des Français, comme le révèlent de récentes études de l’IFOP. En 2025, plus d'un tiers des participants (36 %) considèrent que l'utilisation des réseaux sociaux intensifie leur sentiment de solitude.

De nouvelles analyses en neuro-imagerie révèlent qu'une utilisation intensive des réseaux, en particulier chez les adolescents, est liée à des changements fonctionnels et structurels dans les régions du cerveau et que ces schémas neuronaux ressemblent à ceux observés dans les cas de dépendance, de trouble déficitaire de l'attention/hyperactivité et de troubles de l'humeur (Dopamine-scrolling: a modern public health challenge requiring urgent attention, de BT Sharpe et RA Spooner).

Le FOMO (Fear of Missing Out) fait partie des mécanismes psychologiques qui poussent les utilisateurs à se rendre à un rythme élevé sur les réseaux sociaux. Cette peur, qui se définit comme le sentiment de manquer quelque chose, peut également être éprouvée avec les plateformes de seconde main où les personnes passionnées par la mode, comme les autres, redoutent parfois de passer à côté d’une perle rare comme un ensemble de la marque Courrèges à un prix dérisoire ou un top Miu Miu neuf vendu beaucoup moins cher qu’en boutique.

Un cadre législatif pour protéger des addictions aux plateformes en ligne ?

Les risques de préjudices économiques, physiques et mentaux liés à l'utilisation addictive des produits et services numériques sont aujourd’hui reconnus par les autorités. En France comme en Europe, une réglementation existe quant au problème de dépendance des utilisateurs aux contenus en ligne. Malheureusement, des lacunes persistent.

C’est pourquoi la Commission européenne travaille actuellement sur une future législation concernant l’équité numérique (Digital Fairness Act – DFA), destinée à renforcer la protection des consommateurs dans l'environnement numérique. Le texte devrait notamment s’attaquer au design addictif des plateformes en ligne, mais aussi à la conception d’interfaces trompeuses ou manipulatrices, ou encore aux pratiques de personnalisation déloyales.

En juillet 2025, la Commission a lancé une consultation ouverte afin de recueillir des témoignages. Elle prendra fin en octobre 2025. Ensuite, l’administration européenne prévoit de publier un rapport de synthèse au second trimestre 2026, en tenant compte des retours et données recueillis.

Si une nouvelle réglementation voit le jour, les plateformes de seconde main comme Vinted pourraient être amenées à revoir plusieurs paramètres de leur fonctionnement.

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