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Eric Tibusch : « Ma connaissance du marché chinois est aujourd’hui très forte »

By Anne-Sophie Castro

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People |INTERVIEW

Shanghai / Paris - Il y a quatre ans, Eric Tibusch partait s’installer en Chine. À l’époque, le créateur français choisissait de quitter la scène parisienne et de faire une pause dans la Couture pour se mettre au défi d’habiller « la masse ». Une adaptation souvent difficile, loin de tous repères et au service d’entreprises chinoises avides de ventes volumineuses et toujours plus rapides, ont forgé un nouvel homme. Fort de cette expérience ardue, entre choc culturel et preuves de courage, Eric Tibusch met aujourd’hui la Chine au diapason sur les marques de créateurs. Un échange entre avancée technologique et savoir-faire à la française où chacun y trouvera son compte? Ce témoignagne a été recueilli par téléphone.

Depuis votre arrivée en Chine, quel chemin avez-vous parcouru?

Je réalise énormément de missions de consulting pour des enseignes chinoises tout en développant ma maison en parallèle. En Chine, je me suis rendu compte que la plupart des marques vous utilisent pour votre image étrangère tout en suivant leur modèle d’activité « à la chinoise », sans vraiment avoir les capacités d’anticiper le futur et de tracer un plan clair. Ici seul le moment présent compte et il faut faire de l’argent très vite.

Ce qui est positif en Chine, c’est que la consommation augmente dans tous les secteurs et que le niveau de vie de la nouvelle classe moyenne représente l’avenir du marché intérieur. Les marques étrangères servent en général de vecteur de tendances pour le positionnement et la croissance des marques locales. On observe aussi que de grands groupes chinois commencent enfin à penser différemment et à créer.

Je remercie également la Chine qui ma decerné en 2016 le Prix du Meilleur Créateur International lors de la fashion week de Pékin.

Que demande la clientèle chinoise à un créateur français?

La clientèle chinoise demande avant tout un lifestyle qui correspond a sa vision personnelle de la culture étrangère, avec de la qualité, de bonnes matières et un prix avantageux. Les chinois font avant tout leurs achats sur internet et s’il peuvent économiser dix euros sur un article, ils achèteront celui-là. Ensuite, la contrefaçon est omniprésente en Chine, en vente libre et souvent les chinois ne voient pas la différence entre un produit faux et un original.

Vous sentez-vous libre de vos mouvements? Avez-vous carte blanche dans la création de vos collections?

On vous donne une certaine liberté au départ, mais elle est finalement fausse. Il faut suivre leurs critères de création. Seuls les résultats comptent et je remarque que tout le monde fait les mêmes produits selon la tendance du mass market. Après, on peut vous donner carte blanche pour créer mais très peu d’entreprises chinoises comprennent cette façon de travailler. Pourtant, la nouvelle Chine commence à se réveiller. Elle représente encore une petite minorité à l’heure actuelle, mais les enjeux son énormes car, avec cet état d’esprit, un pour cent de la population représente un revenu d’un milliard de yuans. Donc les entreprises y réfléchissent à deux fois...

Pour qui travaillez-vous actuellement?

Je travaille en consulting pour des enseignes de prêt-à-porter féminin et pour enfants.

Combien de collections avez-vous déjà lancé depuis votre arrivée?

J’ai lancé plus de 15 collections avec plus de 3000 dessins par an depuis mon arrivé. Ici c’est la quantité qu’ils veulent pour choisir les meilleures pièces à produire.

Quelles qualités sont essentielles pour mener à bien tous vos projets dans un pays comme la Chine?

Vous devez comprendre la culture chinoise et le marché chinois avant tout.

Quel chiffre d'affaire annuel génèrent vos collections?

Le chiffre est confidentiel mais il comporte 7 zeros...

Avez-vous des projets avec la France ou d'autres pays?

Oui, après avoir mis ma Maison un peu en stand by a cause de mes grosses responsabilités et surtout du surcroit de travail, je suis en pleine relance. Nous nous concentrons sur le prêt-à-porter et les accessoires. Le tout sera basé à l’étranger. Pour la France nous étudions certains projets actuellement.

Qu'avez-vous appris des chinois?

Beaucoup de choses ! Le virtuel, l’online et le digital où ils ont cinq ans d’avance sur le reste du monde. J’ai aussi appris certaines prérogatives sur le développement des ventes de prêt-à-porter. Là où tous les grands groupes de luxe hésitent à vendre leurs produits textiles car ils obtiennent de plus grosses marges sur les accessoires et les produits dérivés. Le textile ne sert que d’image pour le style. En Chine le textile se vend très bien et cela confirme ma philosophie depuis la création de Ma maison. Le textile, pour un créateur, est notre fer de lance. Et pas les produits dérivés... donc nous pouvons très bien combiner les deux et les rendre commercialement très rentables. Ma connaissance du marché chinois est aujourd’hui très forte. Je connais les couleurs qui fonctionnent le mieux, les styles et les coûts des opérations. Et tout cela par tranches d’âge ! Tous ces éléments, on ne les apprend que lorsqu’on vit ici.

Shanghai est une ville absolument unique en Chine. Mais elle ne représente pas la réalité du pays sur le marché. Mes nombreux déplacements sur le territoire m’ont permis de mieux cerner et comprendre le marché.

Qu'est ce que les chinois apprennent de vous?

La technique, le sens de la mode, la qualité et ma passion pour le travail bien fait. Ils découvrent aussi le fonctionnement d’une marque de créateur. Car ce segment commence juste à se développer ici et cela reste obscur pour eux... Mais il est l’avenir et la plus grosse demande en ce moment.

Encourageriez-vous les créateurs français à venir travailler en Chine?

Non, pas du tout. Du moins, il faut être prêt à changer sa façon de travailler, à mettre de l’eau dans son vin et sortir complètement du système français. Ici tout est différent et même affreusement insolant parfois... Les intérêts culturels au niveau professionnel sont bien souvent opposés.

Photos : courtoisie Eric Tibusch

Chine
Eric Tibusch
SHANGHAI