Mission de taille pour Jonathan Anderson : que faut-il attendre du créateur chez Dior ?

La nomination de Jonathan Anderson au poste de directeur artistique des collections femme et homme de Dior était attendue depuis longtemps et a fait l’objet de nombreuses spéculations. Cette double fonction du créateur nord-irlandais est désormais officielle, et marque un moment historique : Anderson est le premier directeur artistique depuis Christian Dior lui-même à prendre en charge tous les aspects de la légendaire maison de couture française, y compris la haute couture.

Dix collections par an… et ce n’est pas tout

De grandes responsabilités s’accompagnent d’une charge de travail considérable. Rien que pour Dior, Anderson créera dix collections par an, en plus des six collections pour sa propre marque, J.W. Anderson, et des deux lignes qu’il conçoit en collaboration avec Uniqlo. Face à ce nouveau défi et à l’absence de sa marque au calendrier de la mode de février, beaucoup pensaient qu’il allait mettre en pause son travail chez J.W. Anderson. Pourtant, comme le rapporte Business of Fashion, citant la PDG Jenny Galimberti, Anderson reste officiellement impliqué dans les six collections de sa marque.

La pression est énorme, même pour un créateur connu pour son rythme de travail acharné et sa productivité créative. Depuis la création de sa marque en 2008, dans laquelle LVMH détient une participation minoritaire depuis 2013, Anderson n’a quasiment pas fait de pause.

Parallèlement, il a transformé Loewe, la maison de couture espagnole du groupe LVMH, qu’il a reprise à seulement vingt-neuf ans, passant d’une marque relativement peu connue à un acteur mondial de la mode, avec un chiffre d’affaires annuel estimé à environ deux milliards de dollars. Vers la fin de son mandat, même cela ne semblait plus le combler entièrement. Il a donc également créé des costumes pour les films du réalisateur italien Luca Guadagnino, notamment « Challengers » et, plus récemment, « Queer ».

Comparées à ce qui l’attend désormais chez Dior – une maison de couture qui, selon la grande banque londonienne HSBC, a réalisé un chiffre d’affaires estimé à neuf milliards d’euros en 2023 –, ces missions paraissent presque gérables. Ce n’est pas pour rien que chez Dior, une règle tacite était en vigueur : aucun créateur ne devait être simultanément responsable des collections femme et homme. La charge de travail était tout simplement considérée comme trop importante. L’ancien directeur artistique John Galliano, responsable de la mode féminine de 1996 à 2011, a évoqué les exigences excessives – plus de trente collections par an pour Dior et sa propre marque – comme la cause de sa dépression nerveuse, de sa toxicomanie et, finalement, de son licenciement de chez Dior, entaché de scandale.

Anderson, « choix évident » pour Dior

Anderson semble incontestablement plus stable et moins excentrique que Galliano. Mais comme son prédécesseur, il est considéré comme l’« un des esprits les plus créatifs de sa génération », comme l’a décrit Bernard Arnault, PDG de LVMH, lors de sa nomination au poste de créateur pour la mode homme en avril. Delphine Arnault, PDG de Dior, s’est montrée encore plus enthousiaste dans une interview accordée à Business of Fashion : Anderson était le « choix évident », et « le créateur le plus talentueux de sa génération ». Elle le connaît depuis treize ou quatorze ans et a notamment souligné sa loyauté, une qualité qu’il a déjà démontrée chez Loewe. Parallèlement, un créateur aussi ambitieux et énergique qu’Anderson est forcément à la recherche d’un nouveau défi.

Ce défi est désormais devenu réalité. Dior est non seulement quatre fois plus grand que Loewe, mais implique également la responsabilité d’une équipe créative beaucoup plus importante, et ce, à un moment particulièrement délicat pour l’entreprise. La croissance a sensiblement ralenti ces derniers temps, et les attentes envers Anderson sont immenses, après que le secteur a connu l’une des successions les plus longues et les plus discutées de l’histoire récente de la mode.

Les spéculations ont commencé avec la démission de Kim Jones de son poste de directeur artistique de Dior Homme et ont été alimentées par les rumeurs persistantes du départ de Maria Grazia Chiuri, qui a marqué la mode féminine pendant plus de dix ans. Cette question de personnel est désormais réglée, même si elle soulève de nouvelles interrogations : à quoi ressemblera Dior sous la direction d’Anderson ?

Une vision créative unifiée : premiers aperçus fin juin

La nomination d’Anderson est plus qu’un simple bouleversement créatif : elle signale un changement de cap stratégique. Pour la première fois depuis longtemps, Dior poursuit une stratégie de création unifiée et transversale. Auparavant, les collections femme et homme étaient souvent distinctes sur le plan stylistique. « C’est beaucoup de travail », reconnaît Delphine Arnault. « Mais nous pensons que cela créera beaucoup de cohérence, dans les produits, dans la communication, dans les vitrines. »

L’arrivée d’Anderson marque donc non seulement le début d’une nouvelle ère créative, mais aussi structurelle. Sa vision sera probablement très différente de celle de ses prédécesseurs, mais elle s’appuie sur des recherches approfondies. Selon Delphine Arnault, Anderson a passé beaucoup de temps dans les archives de Dior avant de créer sa première collection. Il y a étudié non seulement le travail de Christian Dior, mais aussi celui de ses successeurs. Il s’est montré particulièrement fasciné par l’héritage de produits emblématiques tels que le sac Lady Dior, et, toujours selon Delphine Arnault, il a bénéficié d’une liberté créative totale pour réinterpréter ces codes de la maison dans son propre langage. Le fait que Dior lui accorde cette liberté, notamment pour la maroquinerie, n’est guère surprenant : avec le sac Puzzle de Loewe, créé en 2015, Anderson a déjà prouvé qu’il était capable de concevoir des accessoires emblématiques qui marquent la culture et rencontrent un succès commercial.

S’il existe un domaine dans lequel Anderson n’a pas encore d’expertise formelle malgré sa vaste expérience, c’est bien la haute couture. L’artisanat a toujours été un élément central de son travail chez Loewe, mais la couture exige un niveau de précision technique et de raffinement artistique encore plus élevé. Il aura cependant le temps de se familiariser avec cet univers. Dior a décidé de suspendre la prochaine saison de haute couture, notamment parce que la dernière collection de Maria Grazia Chiuri, bien qu’officiellement du prêt-à-porter, comprenait une vingtaine de créations haute couture.

La patte créative d’Anderson sera donc visible pour la première fois lors de ses débuts dans la mode masculine en juin, un choix de lancement probablement stratégique. Le lancement par le biais de la mode masculine lui permet de prendre une certaine distance avec l’esthétique de Maria Grazia Chiuri et positionne sa première collection en dehors du calendrier chargé de la mode féminine. Sa première collection femme est prévue pour la Fashion Week de Paris en septembre, une saison qui verra de nombreux changements de créateurs de renom dans des maisons telles que Chanel, Gucci, Balenciaga, Loewe, Bottega Veneta, Versace et Jil Sander.

Lorsqu’Anderson présentera sa première collection femme pour Dior en septembre, il aura déjà envoyé un message clair et abordera peut-être la période la plus compétitive de la saison de la mode avec une nouvelle assurance et un nouvel élan.

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