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Fin de partie pour Cameleon : autopsie d’un échec entrepreneurial

By Diane Vanderschelden

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Rengo Credits: Rengo

Le 2 mai 2025, le tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles a officiellement prononcé la faillite de Cameleon, mettant fin à la procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) ouverte en février. Cette décision entraîne la suppression de 46 emplois, comme le rapporte L’Echo.

Ce n’est pas la première fois que le spécialiste bruxellois du déstockage de vêtements de marque traverse une crise majeure. En novembre 2020, la société Famous Clothes SA, alors détentrice de la marque Cameleon, a été déclarée en faillite à la suite des perturbations engendrées par la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs. Dans les semaines qui ont suivi, l’enseigne a été relancée par une nouvelle structure, la SRL Rengo, créée pour assurer la continuité de l’activité.

Cette nouvelle structure est portée par deux anciennes dirigeantes, Pascale Switten (ex-directrice des achats) et Lien Geeroms, accompagnées d’Alexis Malherbe (Wolf Food Market) et Thibaut Dehem (fondateur de l’agence 87seconds). L’initiative repose sur un modèle coopératif inédit en Belgique, en partenariat avec Jobyourself : près de 80 salariés sont devenus actionnaires, via un mécanisme mis en place avec la coopérative Jobyourself. Une première en Belgique, pensée pour associer les équipes à la relance de l’entreprise, renforcer leur implication, et redéfinir les contours d’un commerce plus participatif.

Un modèle qui n’a pas survécu aux transformations du marché

Alors que l’entreprise semblait retrouver une dynamique opérationnelle solide — 100 personnes employées et 80 millions d’euros de chiffre d’affaires sur 4 ans — les défis se sont rapidement accumulés. Le modèle historique de Cameleon, basé sur la vente physique d’articles de marques à prix cassés, s’est trouvé déstabilisé par la digitalisation accélérée du commerce post-Covid.

« Le Covid a durablement changé les habitudes de consommation, qui se sont digitalisées. Nous avons dû faire face à des coûts en augmentation — vêtements, loyers, salaires, énergie — et à une baisse du pouvoir d’achat », expliquait récemment Alexis Malherbe dans une interview à L’Echo. À cela s’ajoute une fréquentation en chute libre, dans un contexte de transformation des attentes des consommateurs.

Une succession d’embûches fatales

« Parfois, il suffit d’un seul caillou pour faire tomber un géant ». Mais ici, c’est plutôt « une série de petits cailloux dans la chaussure » qui ont fini par faire chuter Cameleon, confie Rengo, la société mère, dans une déclaration empreinte de lucidité. Une métaphore éloquente pour illustrer l’accumulation de difficultés, une première PRJ en 2014, l'échec du virage digital, une faillite en 2020, suivie d'une relance complexe, et enfin d'une perte du site stratégique de Woluwe en 2024, vendu par le bailleur.

Ce dernier événement a précipité la nouvelle procédure de PRJ. L'entreprise devait libérer un espace de vente clé de 2.000 m², sans alternative immédiate à Bruxelles.

Des tentatives de sauvetage jusqu’au dernier moment

Avant la faillite, plusieurs pistes ont été explorées pour sauver l’entreprise : recours au crowdlending via Ecco Nova, demandes de crédit à quatre banques pour des montants allant de 250.000 à 500.000 euros, négociations avec des investisseurs, appuyées par The Harbour et Agio Capital (BruxellesToday). Un investisseur s’était engagé, avant de se retirer au dernier moment.

Un soutien public sans précédent

Sur le plan institutionnel, hub.brussels a apporté un accompagnement conséquent : audits digitaux, aides à l’investissement, soutien à la stratégie commerciale (comme l’ouverture du corner “Re-Love”) et un prêt de 400.000 euros octroyé par finance&invest.brussels, dans le cadre d’une mission liée à la crise du Covid-19.

Ce soutien s’est inscrit dans un projet ambitieux et inédit, un management buy-out coopératif, où près de 50 anciens salariés sont devenus actionnaires de la société Rengo, tout en conservant temporairement leurs allocations de chômage, grâce à un mécanisme mis en place avec JobYourself. Cette formule, saluée pour son innovation sociale, a permis à Rengo de se recapitaliser rapidement et de poursuivre ses activités sans dépendre immédiatement du profit. Pour les pouvoirs publics bruxellois, ce soutien visait à promouvoir un modèle entrepreneurial durable, participatif et local, avec une touche de résilience en temps de crise.

Une longue histoire mouvementée

L’aventure Cameleon commence en 1998, lorsque Jean-Cédric van der Belen lance des ventes de vêtements de marque dégriffés au Cinquantenaire. Le succès est immédiat. Suivent plusieurs déménagements, l’ouverture d’un deuxième point de vente à Genval, et une période de croissance rapide jusqu’en 2014. Cette année-là, une première PRJ est enclenchée. Le virage numérique est raté, mais la société tient encore jusqu’à la faillite de 2020.

La relance post-Covid, audacieuse et socialement exemplaire, aura permis de gagner quelques années. Mais sans transformation structurelle du modèle, Cameleon n’a pas su survivre à la conjonction de crises conjoncturelles et de fragilités internes.

Vers une possible reprise ?

À l’heure actuelle, les deux magasins restent ouverts, dans l’attente d’un repreneur. Le tribunal a validé une PRJ III, c’est-à-dire un transfert d’activités permettant à un investisseur de sélectionner les actifs qu’il souhaite reprendre. Les dirigeantes se disent confiantes quant à la possibilité de trouver une solution d’ici l’été. En 2024, le chiffre d’affaires dépassait encore les 14 millions d’euros, porté par une hausse du panier moyen.

Reste à savoir si cette boîte emblématique de la distribution bruxelloise, plusieurs fois ressuscitée, pourra une nouvelle fois renaître — mais, cette fois, de manière pérenne.

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Redressement judiciaire