Jacqueline Sadashige (Peta) : « La cruauté animale est inhérente à l'industrie de la mode »
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Lorsque Nike a annoncé avoir modifié sa politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et s'être engagé en faveur de la norme Responsible Wool Standard (RWS), FashionUnited a repris la nouvelle sous le titre « Nike commits to Responsible Wool Standard » (article en anglais). Le lendemain, l'organisation de défense des droits des animaux Peta (People for the Ethical Treatment of Animals) a contacté FashionUnited pour l'informer que le titre était inexact. Le simple suivi de la norme RWS exclut la pratique du mulesing qui correspond à couper des morceaux de peau autour de la croupe et de la queue d'un mouton, généralement sans anesthésie. Les moutons sont toujours maltraités, frappés, battus et finalement tués.
Face à cette pratique choquante, FashionUnited a souhaité en savoir plus, non seulement en ce qui concerne la laine, mais aussi le duvet, le mohair et d'autres matériaux impliquant des animaux. FashionUnited a interrogé Jacqueline Sadashige, Senior Corporate Responsibility Officer chez Peta, qui accompagne les entreprises à adopter des produits et des politiques plus humains et durables.
Que comprend votre travail en tant que Senior Corporate Responsibility Officer ?
Je travaille au sein de l'équipe de responsabilité sociale des entreprises de Peta. Nous établissons des collaborations solides avec les entreprises. Nous mettons en lumière les pratiques cruelles courantes dans les industries à l’encontre des animaux, tout en les encourageant à adopter de nouveaux matériaux veganes passionnants.
Est-ce que les entreprises défendent l’utilisation de matériaux qui impliquent la cruauté envers les animaux ?
Oui, les entreprises peuvent affirmer ne pas pouvoir arrêter d’utiliser le matériaux X car il est très apprécié des consommateurs. Cela soulève alors une autre question : pourquoi est-il très demandé par les clients ? Ces derniers sont à la recherche de ce matériau particulier car le marketing a été si bien fait qu’il a peut-être été présenté comme « naturel » ou « luxueux ». Ce n’est toutefois pas le cas. La laine, par exemple, est souvent dépeinte comme naturelle, douce et merveilleuse. Peta a enquêté sur une centaine d’opérations de production de laine sur quatre continents et dans chacune d’elles, les moutons ont été battus, frappés, maltraités et finalement tués. La cruauté est inhérente à l'industrie de la mode.
Que dire des petites exploitations agricoles qui prétendent traiter leurs (rares) animaux comme leur propre famille ?
Malheureusement, elles sont souvent pires car du fait de leur petite taille, les soins vétérinaires - s'il y en a - peuvent être rudimentaires. De plus, l'impact environnemental peut être plus important en raison d’une mauvaise gestion des déchets.
Dans les années 1990, j’ai été témoin de la tonte de moutons en Australie qui était à l’époque considérée comme une attraction touristique. J’ai remarqué le peu de temps consacré à chaque animale et leur manipulation brutale, entraînant de vifs saignements causés par les cisailles dans leur chair.
De nos jours, de nombreuses entreprises refusent d’acheter de la laine issue du mulesing, ce qui représente une amélioration, mais la production de laine a augmenté. Les ouvriers sont toujours rémunérés en fonction du volume, ce qui encourage une tonte rapide et agressive, laissant les moutons avec des blessures ouvertes et ensanglantées.
Un matériau qui provient d’un animal est très fréquemment qualifié de « naturel ». Qu’en pensez-vous ?
Il s’agit d’un mythe. Au moment où il parvient au consommateur, il est tout sauf naturel. La laine est extrêmement grasse, c'est ainsi qu'elle protège l'animal par tous les temps. Il faut donc un processus de nettoyage approfondi qui nécessite l'utilisation de produits chimiques et d'énormes quantités d'eau. Le cuir doit être tanné, ce qui nécessite généralement l'utilisation de produits chimiques toxiques. Tout matériau dérivé d'animaux, préparé pour être porté par les humains ne se décomposera pas s'il est jeté dans une décharge. Il ne peut donc jamais être qualifié de « naturel ». Bien que la laine se dégrade naturellement, ces prétendus matériaux naturels contiennent souvent des teintures ou des finitions chimiques nocives qui peuvent être libérées dans l'environnement lors de leur décomposition.
Quelles sont les alternatives possibles ?
Le développement de ces alternatives est en plein essor. Il existe de nombreux matériaux vegans disponibles sur le marché. Ils ont toutefois mauvaise presse car ils nécessitaient autrefois l'ajout d'une certaine forme de matière plastique pour les rendre plus durables et malléables. Il existe désormais des polymères végétaux et des matériaux entièrement à base de plantes tels que le chanvre, le coton, le bambou et les matériaux dérivés de la pâte de bois.
À quel point les normes actuelles telles que Responsible Wool Standard, Responsible Down Standard et Responsible Mohair Standard sont-elles fiables ?
Bien que l'idée ne soit pas mauvaise en soi, la mise en application pose problème et l'interprétation peut, quant à elle, être laxiste. Certaines pratiques douloureuses sont toujours autorisées, comme la castration et l'entaille d'oreilles chez les moutons, par exemple. En ce qui concerne les antalgiques, la norme Responsible Wool Standard (RWS) indique qu’ils sont administrés aux animaux « lorsque des antalgiques appropriés sont disponibles », ce qui laisse une grande marge d'interprétation.
Les exportations en direct persistent toujours malgré leur interdiction par le RWS. Cette pratique consiste à embarquer des animaux en fin de « vie utile » sur des navires pour les expédier à l'abattage. Le voyage prend des mois et les animaux, parce qu’ils sont considérés comme de simples marchandises, ne reçoivent pas suffisamment de nourriture, d'eau, voire de médicaments. Ceux qui meurent sont jetés par-dessus bord ou laissés pourrir.
La certification d’une ferme ne nécessite qu’un audit - évaluation qui assure la conformité aux règles - sur un échantillon de la zone certifiée. Lors de l'enquête de Peta Asia en Russie sur la ferme certifiée Responsible Down, les enquêteurs ont été informés que les auditeurs connaissent la zone. Par conséquent, ils ne se donnent pas la peine de demander aux agriculteurs comment les oies sont élevées. Les audits individuels des fermes sont généralement annoncés, de manière à ce qu’elles puissent se préparer en amont. Les marques doivent effectuer leurs propres audits, non annoncés, si elles souhaitent connaître les réelles conditions d'élevage des animaux.
Mais en fin de compte, le profit est toujours plus important et les assurances délivrées par les fournisseurs sont donc sans signification. L'industrie exerce un pouvoir énorme et la capacité à faire respecter les normes à la lettre est limitée.
Que pouvons-nous faire ?
Les marques, les détaillants, les consommateurs et les organismes de régulation doivent travailler ensemble. Malheureusement, les consommateurs ne réalisent pas le poids de leur pouvoir. Ils peuvent commencer à demander des produits sans cruauté dans les magasins. Dr Martens en est un bon exemple. Les bénéfices de la marque ont explosé lorsqu’elle a commercialisé sa première botte vegane (en collaboration avec Marc Jacobs). Nike connaît également le pouvoir des éditions veganes. L’équipementier a collaboré avec l’artiste Billie Eilish, qui est vegane et soutient PETA, sur plusieurs designs. Aujourd’hui, les consommateurs sont bien avertis : ils savent où trouver les informations dont ils ont besoin. Et s’ils ne sont pas certains de la fiabilité des sources, ils peuvent se tourner vers le site web de Peta où ils trouveront une liste des marques et produits sans cruauté animale et des informations sur les enquêtes en cours.
Et que dire de l'argument populaire selon lequel le coût d’un produit vegan serait plus élevé ?
Nous entendons cet argument. Les entreprises, qui continuent d’utiliser des matériaux qui proviennent d’animaux, assurent que cela leur coûterait plus cher de produire sans cruauté et qu’elles devraient le répercuter sur le consommateur, en augmentant les prix de vente. Cependant, des études ont montré que les consommateurs seraient prêts à payer plus cher pour des produits en accord avec leurs valeurs.
Enfin, est-ce que Peta soutient et finance activement des matériaux alternatifs ?
N'oublions pas que Peta est une organisation de défense des droits des animaux. Les entreprises connaissent leur besoin en termes de matériaux, nous ne sommes pas des experts en la matière. Cependant, nous les informerons sur les matériaux alternatifs. Il existe par exemple une alternative au duvet, fabriquée à partir de fleurs sauvages. Les entreprises doivent se renseigner sur les possibilités qui existent sur le marché. Notre objectif principal est de tenir les animaux à l'écart de la chaîne d'approvisionnement. Cela dit, nous avons décerné des prix pour les entreprises compatissantes et avons mis en place le défi Vegan Wool avec la possibilité pour la gagnante de remporter un million de dollars (près de 920 000 euros).
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.com. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.