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Les entreprises françaises résistent à l’appel de Paris

By Diane Vanderschelden

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Bercy (Paris), le ministère de l'Économie et des Finances. Credits: Unsplash.

Depuis la publication du papier de l’AFP, dimanche 21 avril, sur les tensions entre grandes entreprises françaises et pouvoir politique — un papier d’angle exposant les positions prises par Bercy pour inciter plusieurs groupes à suspendre leurs projets américains —, aucun des principaux groupes concernés — LVMH, Schneider Electric, CMA CGM — n’a annoncé de suspension ni de retrait de ses investissements aux États-Unis.

Malgré l’appel solennel du gouvernement à suspendre ou à reconsidérer les investissements outre-Atlantique, les grands groupes français semblent peu enclins à freiner leur expansion. LVMH, Schneider Electric ou encore CMA CGM ont maintenu leurs projets, parfois même en les consolidant. Bernard Arnault, lors de l’assemblée générale de LVMH, a certes plaidé pour une désescalade des tensions commerciales, mais sans remettre en cause les ambitions américaines du groupe. Idem pour CMA CGM, dont le président Rodolphe Saadé s’est récemment affiché aux côtés de Donald Trump pour annoncer 20 milliards d’investissements sur le sol américain, sans que la dynamique ne semble altérée. Quant à Schneider, ses 700 millions de dollars de projets industriels sont toujours d’actualité.

Dans le secteur du luxe, d’autres noms majeurs tels que Hermès n’ont pas non plus exprimé d’intention de revoir leurs plans. Hermès, de son côté, maintient l’ouverture prévue de plusieurs boutiques supplémentaires, notamment à Dallas et San Diego, tout en renforçant sa production locale pour répondre à la demande croissante. Le groupe a toutefois annoncé qu'il augmenterait ses prix aux États-Unis, afin de compenser les droits de douane. Lacoste poursuit également son développement avec l’inauguration, le jeudi 10 avril, d’une nouvelle boutique sur la 5e avenue à New York. Enfin, L’Oréal a ouvert en février 2025 un centre de recherche et d’innovation de 160 millions de dollars dans le New Jersey. Ce site, qui remplace les anciennes installations de Clark, où l’entreprise opérait depuis soixante ans, emploiera plus de 600 personnes.

Le pragmatisme économique l’emporte sur les injonctions politiques

Ce contraste entre la ligne politique prônée par Paris et la réalité de terrain des entreprises tient sans doute à une lecture pragmatique des tendances lourdes qui façonnent aujourd’hui le commerce mondial. L’analyse macroéconomique d’Isabelle Mateos y Lago, cheffe économiste de BNP Paribas, met des mots clairs sur une recomposition radicale : les États-Unis affichent désormais un tarif extérieur moyen autour de 25 % – « Une fois la politique tarifaire stabilisée, on peut espérer qu'il sera plus bas », indique Isabelle Mateos y Lago dans un communiqué sur le site de BNP, « Mais il est peu probable qu'il soit significativement inférieur à 15 %, c'est-à-dire plus de cinq fois plus élevé qu'en début d'année et son plus haut niveau depuis la signature du GATT en 1947 ». À court terme, cette politique douanière restera instable, ponctuée de négociations bilatérales, d’exemptions ciblées, et de nouveaux droits sectoriels. Mais une fois cette architecture tarifaire stabilisée, il est peu probable qu’elle tombe sous les 15 %.

Une nouvelle souveraineté industrielle américaine

Autrement dit, les États-Unis sont en train de redéfinir leur position dans l’ordre commercial mondial, en se recentrant sur une forme de souveraineté industrielle ciblée. Pour l’administration Trump, l’objectif est double : financer les baisses d’impôts en augmentant les recettes douanières, et se protéger dans des secteurs jugés stratégiques – automobile, acier, aluminium, semi-conducteurs, pharmaceutique.

Ces hausses de tarifs ne sont pas sans effets internes : elles constituent la plus forte hausse d’impôts indirects depuis des décennies, minent la confiance des consommateurs et des entreprises, et freinent toute possibilité d’assouplissement monétaire par la Réserve fédérale. À plus long terme, elles poseront un dilemme compétitif majeur aux firmes américaines, qui verront grimper le prix de leurs intrants par rapport à leurs concurrents étrangers, au risque d’une perte de productivité durable.

Contagion mondiale : contraction, prudence et désinflation

Sur le plan international, les effets de contagion sont tout aussi puissants – mais pas forcément dans le sens attendu. Loin d’un effet inflationniste, le choc tarifaire américain agit pour l’instant comme un puissant vecteur désinflationniste, voire déflationniste, note BNP. La demande mondiale se contracte, les prix de l’énergie s’affaissent, et les grandes économies, face à l'incertitude, réduisent leurs investissements. Israël a déjà choisi d'éliminer ses droits de douane sur les produits américains plutôt que de s'engager dans une spirale de représailles. La Chine, elle, a adopté une posture plus radicale : des droits de douane punitifs et massifs, associés à une stratégie de « débarras » – une vague de produits manufacturés bradés, poussés à l’export, risque de submerger les marchés tiers, notamment européens.

Washington, entre rupture assumée et rente de puissance

Ce contexte ouvre une période de grande recomposition. Washington semble prêt à renoncer à son rôle historique de garant du système commercial multilatéral, tout en continuant à profiter des attributs de sa puissance financière : accès illimité aux marchés de capitaux, statut du dollar, extraterritorialité juridique. Une forme de « cakeism » assumé, selon Isabelle Mateos y Lago, – manger son gâteau et le garder, comme lors du Brexit.

L’Europe en quête de levier stratégique

Et l’Europe dans tout ça ? Selon BNP, le Vieux Continent dispose de nombreux atouts structurels pour amortir le choc : un vaste marché intérieur, une stratégie claire d’investissements (défense, transition énergétique, infrastructures…), un cadre institutionnel prévisible, et surtout un poids fort dans les services – secteur dans lequel les États-Unis sont dépendants des exportations vers l’UE. Reste à savoir si cette marge de manœuvre sera convertie en levier politique – ou si les entreprises, à force de courir après leurs intérêts immédiats, ne finiront pas par affaiblir collectivement la position de l’Europe.

Le réveil des marchés : capitaux en mouvement

Ce réalignement stratégique ne se lit pas seulement dans les discours politiques ou les décisions d’investissement industriel : il s’incarne aussi, très concrètement, dans les mouvements de capitaux. Les derniers chiffres publiés lundi 21 avril par ZoneBourse confirment une inflexion spectaculaire dans les préférences des investisseurs. Les fonds d’actions européens ont attiré plus de 11 milliards de dollars nets en une semaine, pendant que les fonds américains subissaient des retraits de plus de 10 milliards. En parallèle, les flux se sont aussi intensifiés vers l’Asie, qui capte près de 3,6 milliards de dollars d’achats nets sur la même période.

L’imposition de droits de douane élevés par les États-Unis a provoqué une onde de choc boursière au début du mois, notamment en Europe, mais l’annonce d’un moratoire de 90 jours sur les mesures de rétorsion semble avoir rassuré les marchés, amorçant un rebond partiel. Dans ce contexte mouvant, les investisseurs fuient les secteurs historiquement porteurs — santé, tech — et se replient massivement vers des véhicules à court terme et peu risqués. Les fonds obligataires mondiaux ont ainsi connu des sorties nettes proches de 20 milliards de dollars. Seuls les fonds obligataires américains à court terme tirent leur épingle du jeu, avec plus de 7 milliards d’entrées nettes, signe d’une demande de sécurité pure.

Une Europe à la croisée des blocs

Ce réalignement financier donne une traduction immédiate à ce que BNP Paribas et d’autres économistes pressentaient déjà : l’Europe, si elle sait jouer ses cartes, pourrait bien sortir renforcée d’un monde devenu plus fragmenté, mais aussi plus prévisible dans ses logiques de blocs. Les entreprises, elles, ont déjà commencé à s’adapter. Les marchés financiers sont en train de leur emboîter le pas.

En résumé
  • Malgré les tensions entre le gouvernement français et les grandes entreprises concernant les investissements aux États-Unis, les groupes comme LVMH, Schneider Electric et CMA CGM maintiennent leurs projets américains.
  • Les États-Unis redéfinissent leur position commerciale avec des tarifs douaniers élevés, visant une souveraineté industrielle ciblée, ce qui entraîne des effets désinflationnistes mondiaux et une contraction de la demande.
  • Les flux de capitaux montrent un réalignement stratégique, avec un intérêt accru pour les fonds d'actions européens et asiatiques, tandis que les investisseurs fuient les secteurs traditionnels et recherchent des actifs à court terme et peu risqués.
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