Shein, Kiabi, Decathlon : quand le don devient un levier d’optimisation fiscale
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Selon une enquête de nos confrères Disclose et Reporterre, la loi antigaspillage, dite loi Agec, qui interdit de détruire les invendus non alimentaires (vêtements, électroménager, produits d’hygiène, etc.) depuis 2022, profiterait à des marques comme Decathlon, Shein ou Kiabi.
En France, la réduction fiscale dont peut bénéficier une entreprise qui donne ses invendus à une association reconnue d’utilité publique ou d’intérêt général (comme Emmaüs, la Croix-Rouge, etc.) est égale à 60 % de la valeur du don, dans la limite de 20 000 euros, ou de 0,5 % du chiffre d'affaires annuel hors taxe, si ce montant est plus élevé. Cette disposition est prévue par l'article 238 bis du Code général des impôts.
De fait, une entreprise qui fait un don n’est pas à 100 % généreuse et y trouve son intérêt économique. Selon l’enquête, les géants de la fast fashion (Decathlon, Shein, Kiabi) auraient reçu plusieurs millions d’euros de réductions d’impôt pour leurs surplus donnés à des associations. Exemple : « pour un pantalon vendu douze euros par Shein, la marque chinoise peut escompter une ristourne fiscale de 7,20 euros si elle choisit de l’offrir à une recyclerie ».
Vérification faite, la plus célèbre des friperies, Guerrisol, revend des articles Shein, neufs avec étiquettes, à des prix bradés
L’enquête cite la start-up Dealinka, spécialisée dans la revalorisation des invendus, qui a permis à Shein de se rapprocher des friperies avec « vingt palettes de vêtements Shein provenant de Chine » (copie du mail à l’appui). L’attaque est puissante, d’autant que la start-up se présente comme « une entreprise RSE qui contribue aux enjeux du développement durable ».
« La défiscalisation est d’autant plus intéressante financièrement que, dans le cadre du don, ce sont les entreprises elles-mêmes qui déterminent la valeur de leurs produits », décrypte Romain Canler, directeur de l’Agence du don en nature, dans l’article.
Contacté par FashionUnited, Quentin Ruffat, porte-parole de Shein en France, rappelle que le modèle économique repose sur un modèle unique de production à la demande. Concernant les retours, il indique : « Les articles retournés font l’objet de contrôles qualité rigoureux. Une fois ces contrôles passés avec succès, ils sont réintégrés à notre stock et remis en vente. En Europe, environ 90 % des retours sont reconditionnés puis réintégrés dans notre système d’inventaire pour être à nouveau proposés à la vente. Shein a également mis en place des dispositifs pour gérer les articles qui ne passent pas les contrôles qualité. Dans les rares cas où les produits retournés ne répondent pas à nos exigences et ne peuvent être revendus, nous collaborons avec des prestataires tiers pour les traiter conformément aux pratiques du secteur. »
Decathlon et Kiabi auraient le portefeuille placé à la place du coeur
Si Shein ne communique pas de chiffres, les journalistes se sont procuré l’avoir fiscal de Decathlon, propriété de la famille Mulliez, soit « 709 000 euros en 2024, pour 1,18 million d’euros de produits invendus donnés via Comerso », entreprise à mission, labellisée B Corp, avec pour raison d'être « Agir collectivement pour un monde plus responsable et durable, en inspirant et accompagnant les organisations à valoriser leurs ressources ». La bonne blague ?
Sollicitée par nos confrères, Decathlon indique qu’en 2024 « près de 90 % de [ses] magasins en France ont participé à des actions de dons, bénéficiant à plus de 200 associations ».
Autre marque mise en cause, et là encore propriété de la famille Mulliez : Kiabi et ses « petits magasins ». Les Petits Magasins sont des boutiques solidaires, organisées via la société Kivi, une coentreprise entre Kiabi (via sa holding Bunsha) et Vitamine T, une structure d’insertion. Le but affiché ? Donner une seconde vie aux invendus de la marque tout en favorisant la réinsertion professionnelle.
Sauf que, grâce à ce montage, Kiabi donne à une structure qu'elle contrôle partiellement, ce qui lui permet de maîtriser la chaîne de valorisation de ses invendus et d’optimiser ses réductions fiscales.
L’enquête Disclose/Reporterre enfonce le clou en affirmant qu’à « Reims (Marne), son tout nouveau Petit Magasin est implanté dans des locaux subventionnés par un bailleur social. À Hem (Nord), c’est la mairie qui a prêté un local rénové à ses frais. La communauté d’agglomération de Lens-Liévin (Pas-de-Calais) a quant à elle attribué, début mars, une subvention de 3 000 euros au Petit Magasin de Kiabi ».
De l’effet pervers de la loi Agec sur les associations et le contribuable
Enfin, et non des moindres, ce sont les associations qui, envahies par les stocks, doivent gérer les surplus. Depuis 2007, toutes les entreprises qui mettent sur le marché des vêtements, des chaussures ou du linge de maison neufs à destination des ménages doivent contribuer à la gestion de leur fin de vie.
Faute de débouchés, les associations finissent par jeter les invendus, entraînant un coût de traitement (enfouissement, incinération), soit à leur charge, ce qui fragilise leur économie, soit à celle des collectivités locales. Conclusion : outre le fait qu’ils déresponsabilisent les marques, les dons massifs d’invendus neufs donnent l'impression d’une charité à la vertu rentable.