Que nous réserve l'exposition « Yiqing Yin. D’air et de songes » à la Cité de la Dentelle et de la Mode ?
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La Cité de la Dentelle et de la Mode s’apprête à accueillir une exposition consacrée à Yiqing Yin, première créatrice d’origine chinoise à recevoir l’appellation française de haute couture. Reconnue par ses pairs, l’artiste plus méconnue du grand public est la tête d’affiche du musée jusqu’en janvier 2026. Dans cet article, la commissaire d’exposition Sylvie Marot nous révèle les coulisses et les bonnes raisons de la visiter à partir du 14 juin.
Pourquoi avoir décidé de mettre en lumière le travail de Yiqing Yin ?
Sylvie Marot : Cette rencontre s’est faite au moment de ma précédente exposition au sein de La Cité de la Mode et de la Dentelle, intitulée Haute Dentelle. Je me suis alors entretenue avec plusieurs créateurs dont Yiqing Yin. Je me suis rendu compte d’un univers certes textile, mode évidemment, mais pas que. Il y avait tout un univers artistique beaucoup plus vaste. Et j’avais gardé l’idée que si je travaillais sur une autre monographie – après celle d’Anne Valérie Hash – son travail mériterait d’être compris dans sa globalité, et pas seulement dans l’aspect vestimentaire.
C’est assez naturellement que j’ai proposé au musée le travail de Yiqing Yin. D’un point de vue textile, c’est passionnant. Même si sa carrière de couturière peut sembler courte d’autant qu’elle a vite abandonné la saisonnalité de la haute couture, le corpus est assez grand pour en faire une exposition.
Comment concevoir une exposition rétrospective d’une artiste rarement exposée ?
Pour ma part, ce qui est important dans une monographie, c’est d’arriver à comprendre le processus créatif, c’est-à-dire quelles sont les sources d’inspiration, comment les pièces sont réalisées, quelles sont les rencontres marquantes, mais aussi qui est la personne, quelles sont ses formations et ses inspirations. Une exposition monographique représente beaucoup de travail et surtout du temps —celui de l’écoute notamment. On pense, à tort, que ce n’est qu’exposer du vêtement. Il y a une forme d’introspection parce que c’est questionner des choses que l’on ne questionne pas d’habitude : on interroge ce qu’il y a avant la création.
Comment avez-vous travaillé aux côtés de Yiqing Yin, directrice artistique de l’exposition ?
Je ne conçois pas de faire une exposition sur un sujet contemporain, en n’étant pas en relation directe avec la personne concernée. Depuis un an et demi, Yiqing Yin et moi passons beaucoup de temps ensemble pour que les propositions que je lui soumets correspondent à sa vision et inversement. On se nourrit l’une de l’autre. C’est un dialogue. Ainsi l’idée « D’air et de songes » [ndlr. : titre de l’exposition emprunté à Gaston Bachelard] est venue d’une photographie de mouvements d’air du scientifique Etienne-Jules Marey qu’elle m’a montrée. Je l’ai ensuite menée vers les rêves (et peut-être aussi vers les cauchemars dignes de David Lynch ou de David Cronenberg) et le nébuleux. C’était aussi une façon d’exprimer la partie du hasard qui imprègne son travail. C’est aussi à partir de ce thème que la campagne photographique de l’exposition a été réalisée par Laurence Laborie – avec qui Yiqing Yin travaille depuis longtemps. Ce chemin se fait par envies, par frustrations aussi. On a dû renoncer à avoir des nuages et du vent partout – totalement incompatible avec les contraintes muséographiques. Mais ça nous a poussé à imaginer d’autres manières de représenter le nébuleux et le souffle dans le parcours.
De quelles manières avez-vous sélectionné les objets qui seront présentés ?
Après une présélection faite sur photos permettant de dégager des points saillants, je suis allée voir les vêtements – il m’importe de me rendre compte de leur état, des détails et des couleurs que les photos peuvent fausser... Cette sélection a été complétée de divers matériaux : croquis, étapes de travail, échantillons, tableaux, livres, entre autres. L’idée, c’était d’arriver à montrer ce processus de création à travers des objets qu’on a peut-être moins l'habitude de montrer.
Pourquoi vous semblait-il nécessaire d’exposer le travail de Yiqing Yin dans sa globalité ?
Il m’a semblé important de montrer son univers créatif sous plusieurs formes. C'est pourquoi, le parfum, la voix, les mots s’ajoutent aux textiles. Ce qui pousse l’exploration encore plus loin, c’est sans doute sur le travail autour de l’écriture. C’est l’un des beaux cadeaux de Yiqing Yin. Dès le départ, je souhaitais tendre vers l’intime. Elle aurait pu choisir de ne montrer que ses robes, mais elle a accepté de se livrer, par fragments très personnels. Il n’en demeure pas moins que tout reste mystère.
Comment avez-vous travaillé autour de la thématique « D’air et de songes » qui paraît, au premier abord, assez abstraite ?
Poèmes, vêtements, images, parfums sont mêlés. J’ose espérer que ce mélange va toucher le public.
Il réside un certain paradoxe : la volonté d’avoir peu de discours, mais beaucoup de mots. Le discours de type muséographique reste discret. En revanche, des mots se fondent aux images. Ce que j’apprécie dans les expositions, et que j’ai essayé de travailler ici, c’est qu’on n’est pas obligé de lire les cartels. Je crois que les vêtements sont assez puissants pour cela. Maintenant, je rassure les spécialistes qui vont pouvoir se délecter de l’aspect technique faisant la part belle aux smocks et drapés, des matériaux nobles comme des velours précieux de Luigi Bevilacqua, des jacquards, un polyester japonais iridescent magique à lui seul.
L’exposition ne suit pas un parcours chronologique, mais un chemin qui nous mène vers l’artiste.
Quelles seront les pièces exposées ? Quelle est la place de la mode ?
La part faite aux vêtements est bien évidemment essentielle. Une soixantaine de robes de haute couture des années 2011 à nos jours sont exposées. Le public pourra retrouver une robe inédite – pas encore terminée à ce jour – imaginée en collaboration avec l’artiste textile Solenne Jolivet, la robe Shalimar créée pour le court-métrage du parfum de Guerlain, des robes créées pour le ballet Tristan and Yseult, une robe mais aussi une montre pensées avec le haut horloger Vacheron Constantin, mais aussi des œuvres de l’artiste textile Clémentine Brandidas.
À quoi s’attendre en matière de dispositifs et de scénographie ?
L'exposition propose une expérience olfactive qui fait sens avec le travail de l’artiste. Il y aura aussi un peu de lecture et quelques souffles d’air très légers…
Sous la curation de Sylvie Marot, l’exposition temporaire « Yiqing Yin. D’air et de songes » sera ouverte du 14 juin au 4 janvier 2026. La Cité de la Dentelle et de la Mode continue d’offrir parallèlement la visite de sa collection permanente, qui comprend notamment une démonstration inédite des métiers à tisser et une présentation de la dentelle mécanique riche de tradition calaisienne depuis 200 ans.