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Affaire Bidermann vs. Massimo Dutti : Le nom patronymique, la clause de contrat la plus risquée pour les créateurs ?

L’affaire Aurélie Bidermann, AMS Design et Massimo Dutti met en lumière les pièges de la cession de marque et du nom propre, un enjeu critique pour les créateurs et les maisons de mode.
Mode|Interview
Massimo Dutti, Oxford Street, Londres (Reino Unido). Credits: Massimo Dutti.
By Diane Vanderschelden

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L’histoire d’Aurélie Bidermann, créatrice de bijoux reconnue, est un cas d’école dans le droit de la propriété intellectuelle, notamment autour de la valeur et de la cession du nom patronymique du créateur.

L’affaire, qui oppose la créatrice à AMS Design (société détentrice des actifs de sa marque après redressement judiciaire) et indirectement à l’enseigne Massimo Dutti, révèle une zone grise pour les entrepreneurs du secteur créatif. Elle illustre la puissance du droit des marques face à l'usage du nom à titre de simple signature, posant la question des limites d’une cession de droits.

Le contexte de l'affaire : une cession létale pour le nom

L’origine du litige remonte à la période difficile que traverse la société d’Aurélie Bidermann l’ayant conduit à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire en juillet 2016. Suite à un redressement judiciaire, les actifs incorporels de la marque éponyme, incluant la propriété intellectuelle, ont été rachetés par la société AMS Design.

L’élément central et le plus problématique de cette affaire réside dans un acte séparé signé par la créatrice. En marge de la cession des marques de sa société, Aurélie Bidermann a également cédé ses droits patrimoniaux sur son propre nom. Cette clause soulevait une question fondamentale de droit : jusqu’où peut-on aller dans l’interdiction d’utiliser son nom pour exercer son métier et jouir de sa propre renommée ? Le contrat, dont les termes exacts ne sont pas publics, contenait une clause particulièrement large l’engageant à « ne pas exploiter son nom seul ou associé dans le cadre de son activité professionnelle ».

Pour Agathe Zajdela, l’avocate experte interrogée, l'acceptation d'une telle interdiction était probablement la contrepartie d’un enjeu majeur, sans doute financier. Mais « Le contrat perd toute sa valeur si elle peut d’un côté monnayer son nom et le reprendre derrière. »

En résulte une situation particulièrement complexe, où une créatrice reconnue s'est retrouvée contrainte à une cession dont l'objectif était de vider le nom de toute valeur commerciale pour elle, mettant en péril l'essence même de sa future activité professionnelle.

Massimo Dutti et la « signature » abusive

En atteste le litige porté devant les tribunaux concernant une collection capsule réalisée par Aurélie Bidermann, quelques années plus tard, en collaboration avec l’enseigne de prêt-à-porter Massimo Dutti. Dans le cadre de cette collaboration, le nom de la créatrice a été mis en avant de manière significative. Il figurait en bonne place sur les produits, les étiquettes, le packaging et la communication, sous la mention « by Mademoiselle Aurélie Bidermann » — et ce, au même plan que la marque Massimo Dutti elle-même.

C’est cette mise en avant ostentatoire qui a constitué l'objet de l’attaque d’AMS Design. La société a argué que l’usage fait par Massimo Dutti, via la collaboration avec la créatrice, dépassait l'usage de simple « signature » ou de crédit d’auteur. L’analyse du tribunal a été extrêmement pragmatique, s'attachant aux faits commerciaux : l’exploitation du nom était clairement faite « à titre de marque », puisqu’elle visait à conférer aux produits un signe distinctif et une origine commerciale.

« Ils ont vraiment fait un usage de marque au lieu de faire un usage à titre de crédit, de signature », précise l'experte.

Cette décision met en lumière la zone grise périlleuse dans laquelle les créateurs et les marques évoluent. Si un artiste conserve toujours le droit moral de signer son œuvre – inaliénable –, l'usage commercial d'un nom cédé doit rester subsidiaire et ne jamais concurrencer la marque acquise par le repreneur.

Les conséquences pour le créateur : un précédent paralysant

Pour Aurélie Bidermann, les conséquences de cette décision sont considérables. Bien que le tribunal n'interdise pas formellement d'utiliser son nom, il établit un précédent selon lequel l'usage commercial qu'elle en a fait est litigieux.

Pour l’avocate, le constat est sévère : « On se retrouve avec une décision où Aurélie Bidermann ne sait plus trop comment elle peut utiliser son nom, qui reste quand même son nom. » Cette incertitude met en lumière le danger d’une clause qui, en apparence technique, paralyse l’essence même de l’activité professionnelle.

« Cela va quand même avoir un impact sur la suite de sa carrière », constate l'experte. « Elle, ce qu'elle sait faire, c'est créer des bijoux. C'est être créatrice. Donc, elle va faire comment maintenant, dans le futur, si elle veut continuer à créer des bijoux ? Elle n'a plus le droit d'utiliser son nom pour signer ses créations [dans le cadre d’un usage commercial]. » La décision a renforcé la position d’AMS Design, laissant Aurélie Bidermann dans une zone grise pour la suite de sa carrière.

Points de vigilance pour les créateurs et entrepreneurs

L’affaire Bidermann est un avertissement majeur pour tous les créateurs, qu’ils soient jeunes ou confirmés, notamment en cas de difficultés financières entraînant la cession de leur société. Comment éviter les écueils de la négociation face aux grands groupes de l’industrie ? Souvent, le créateur cède sous la pression du groupe adverse, de son armada d'avocats et de spécialistes qui savent comment appuyer les points faibles et mener une négociation. Face à cela, il est primordial de connaître ses droits et d'avoir la bonne approche pour éviter des écueils parfois irrémédiables.

Ne pas céder son nom patronymique (le nom propre)

Le conseil le plus fort qui ressort de cette analyse est d’éviter la cession de son nom patronymique. « Je ne recommanderais pas de faire un contrat sur la cession de son nom patronymique. Honnêtement, je trouve que c’est excessif. Je pense qu’il faut se limiter à la cession de la marque », alerte l'avocate. Céder sa marque est une chose ; mais s’interdire l'usage de son nom dans toute activité professionnelle est une clause qui peut apparaître excessive et potentiellement contestable en droit français. S'il est inéluctable, il est crucial de négocier des limitations d’usage très strictes pour l’acquéreur et de se réserver explicitement le droit d’utiliser son nom à titre de signature.

Le principe de rémunération proportionnelle

La loi française offre par ailleurs un filet de sécurité fondamental aux créateurs : le principe de la rémunération proportionnelle.

En matière de droit d’auteur et de création, ce principe est formel : l’auteur doit bénéficier d’une rémunération proportionnelle aux recettes tirées de l’exploitation de son œuvre. Ce mécanisme vise à protéger le créateur contre les cessions forfaitaires dérisoires, notamment lorsque l'œuvre connaît un succès inattendu. Bien que des exceptions existent, la règle de base doit être la rémunération proportionnelle (un pourcentage sur les ventes publiques) pour garantir la validité de la cession et la juste rétribution du travail.

Vigilance dans le co-branding et la due diligence

Au-delà de la rémunération et des risques individuels, l’affaire Bidermann rappelle la complexité juridique du co-branding. Dans tout accord de collaboration, la responsabilité juridique est souvent commune. Il est essentiel de s’assurer de la titularité des marques que l’on utilise.

Pour les marques souhaitant collaborer avec un créateur dont le nom est un actif cédé, il est vital d'exercer une due diligence et de s'assurer que l'usage fait du nom est strictement limité au crédit d’auteur et ne peut être interprété comme une tentative de contournement de la marque détenue par un tiers.

La nécessité d’un accompagnement spécialisé

L’Affaire Bidermann, dont on ne sait pas si elle était bien encadrée par des juristes et des avocats au moment de la signature, met en lumière la complexité des enjeux financiers (redressement judiciaire) qui peuvent forcer à des cessions jugées excessives.

La leçon principale de cette affaire est que, malgré un contexte financier tendu, il est vital de négocier la survie de son identité professionnelle et de consulter un avocat spécialisé en propriété intellectuelle afin de délimiter très clairement les frontières de l’interdiction, assurant ainsi la pérennité de l’activité créative au-delà de la marque initiale.

Créateurs
Massimo Dutti
propriété intellectuelle