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Mode en circuit court : Portugal Fashion est sur la bonne voie

By Florence Julienne

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Portugal Fashion. De gauche à droite : Pé de Chumbo, Ernest W. Baker, Awa Meite. Photos : F Julienne

Du 14 au 18 mars 2023, la Portugal Fashion de Porto a organisé sa 52e fashion week. Sa mission ? Réunir sur un même podium une industrie locale performante et des créateurs locaux et internationaux, dans une dynamique convergente de circuit court.

« Le challenge de Portugal Fashion est de promouvoir nos marques nationales, particulièrement les jeunes, et de les connecter avec les industriels », nous indique Monica Neto, directrice de Portugal Fashion, la branche mode de l’association Anje (Association Nationale des Jeunes Entrepreneurs) en collaboration avec l’ATP (Association Textile du Portugal).

L’événement s’est tenu du 14 au 18 mars 2023, rua Latino Coehlo, à Porto, dans un ancien garage qui doit bientôt être réaménagé. Presque un symbole, tant il est difficile, dans le contexte actuel (hausse des prix, guerre, etc.), d’organiser un événement alternatif aux fashion weeks dominantes que sont Paris, Milan, New York ou Londres. « La Portugal Fashion est une manifestation btob destinée à la presse, aux acheteurs, aux clients des marques mais aussi aux écoles de mode. Mais, cette année, faute de budget, nous n’avons pas pu réunir autant d’acheteurs internationaux que nous l’aurions souhaité », reconnaît la directrice.

Si le défi de la commercialisation wholesale reste à relever, la démonstration que l’industrie portugaise va de pair avec l’éclosion de marques créatives, fabriquées en circuit court, est un fait et non une anecdote. La preuve avec la présentation de la marque Ernest W. Baker qui joue avec succès la carte d’un made in Portugal haut de gamme.

Ernest W. Baker twiste les codes du tailoring dans les usines de la région de Porto

Courtesy of Portugal Fashion. Ernest W. Baker

Lui, Reid Baker, est Américain. Elle, Ines Amorim, est Portugaise. Tout d’abord installé à Milan, ce duo créatif a ensuite travaillé à Paris, Londres et Anvers. Il a figuré parmi les finalistes du LVMH Prize en 2018. Pour le Who’s Who, la renommée d’Ernest W. Baker provient du fait que PharelL Williams, le nouveau directeur artistique de la griffe Louis Vuitton, est un fidèle client. Il a porté une tenue Ernest W. Baker à l’occasion des Grammys Awards 2023. Cette jeune marque portugaise vend aux acheteurs haut de gamme du monde entier – Dover Street Market, Ssense, Corso Como, United Arrows – à travers un showroom privé dans le Marais pendant la fashion week Paris.

Mais c’est finalement au Portugal, à Porto, que les jeunes designers ont décidé de s’installer. « Le but de notre retour sur Porto était de mieux maîtriser la fabrication, mais aussi nos prix de vente », nous explique Reid Baker, à l’occasion de sa présentation. Nos tarifs retail oscillent entre 300 euros pour un pantalon ou une chemise et 1 200 euros pour un manteau. Nous sommes parmi les premiers à jouer dans la catégorie « luxury » avec un made in 100 pour cent portugais. Cela va changer la perception du pays ».

Pé de Chumbo : une fabrication industrielle 3D pour un tricot à l’aspect artisanal

Courtesy of Portugal Fashion

Un autre exemple de l’adaptabilité de l’industrie portugaise à la mode internationale est Pé de Chumbo. Cette marque, repérée à l’occasion du salon Tranoï mars 2023, possède sa propre unité de production à Guimarães, à 45 minutes au nord-est de Porto. Fait rare dans l’industrie de la mode, hormis pour les groupes et luxe, l’usine ne fait pas de sous-traitance et produit donc exclusivement pour le compte de sa marque en propre.

En 2008, la dirigeante Alexandra Oliveira a conçu un procédé unique qui lui permet de réaliser des modèles en tricot sans couture. Ils ont un aspect fait main, mais, en réalité, leur caractère industriel leur permet d’assumer une distribution whole sale. « Nous achetons les fils et nous fabriquons notre propre matière, nous explique-t-elle au sortir de son défilé. De même, nous avons utilisé des fibres recyclées de vêtements existants pour concevoir certaines vestes de la collection ». Pé de Chumbo vend en France (boutiques Victoire), en Italie – son plus gros marché -, Turquie (14 boutiques), Allemagne, … à des prix qui tournent autour de 600/700 euros pour une robe.

À la différence de Moda Lisboa, organisé dans la capitale portugaise, Portugal Fashion bénéficie donc d’une connexion avec l’industrie locale qui lui permet de rayonner. « Nous avons un parc industriel fantastique, une bonne situation géographique, une jolie ville, etc. Ces atouts nous permettent de valoriser les marques nationales mais aussi d’attirer des griffes internationales, déclare Monica Neto. Nous sommes ouverts à des participants internationaux, à condition qu’ils souhaitent produire leur collection au Portugal. »

Dix créateurs africains à la découverte de l’industrie portugaise

Courtesy of Portugal Fashion. Awa Meite

Cet échange avec des créateurs internationaux s’exprime, depuis 2021, à travers le partenariat avec la Canex (Creative Africa Nexus), un programme de valorisation de la mode africaine financé par la banque d’import-export (Afreximbank). « Ce qui est particulièrement intéressant avec Porto, c’est son parc industriel. La région a été capable de se relever du rouleau compresseur qu’a été le made in China. En 50 ans, leur industrie a non seulement progressé mais elle s’est aussi mise aux normes en termes de mode durable », nous explique Khanyl Mashimbye, consultante de l’Intra African Trade Initiative.

« Nous voulons pénétrer le marché européen. Pour cela, nous avons besoin de comprendre comment le système de la mode fonctionne et Portugal Fashion nous le permet » poursuit-elle. Résultat : dix designers représentaient l’Afrique dans un programme bien rempli. Parmi eux, Awa Meite.

Awa Meite est une créatrice malienne engagée sur le terrain de la mode durable. Pour son défilé nommé Taama en bamanankan (marché en français), Awa dénonce une offre malienne envahie par les restes de l’Occident, que ce soit les dons, les fins de série ou les invendus. « On ne peut l’empêcher car ils permettent à des milliers de familles de vivre. Quelle réponse peut trouver l’Afrique à cela ? » questionne-t-elle.

Sa réponse passe par le recyclage des jeans qui envahissent ce marché : « nous les avons démontés et reconstitués. Certaines pièces sont restées telles quelles. Nous les avons juste teintes de manière naturelle avec la technique de l’indigo ou du bogolan (étoffe décorée avec des plantes et de l'argile ou de la boue, N.D.L.R.). On utilise très peu de teintures chimiques ».

Le modèle portugais pour rentrer dans une logique de production plus vertueuse

Courtesy of Portugal Fashion. De gauche à droite : Marques Ameida, Bloke, Davii

Avec une fabrication artisanale et des prix premium (pochettes cent euros, vêtement 500 euros, grand manteau entre 600 et 700 euros), Awa Meite vend, pour l’instant, principalement dans des multimarques africains et s’adresse à l’Europe via le online. « Les boutiques européennes veulent faire du dépôt-vente. Avec la crise, elles ont du mal à acheter cash. Ce n’est pas intéressant car comme nous produisons peu, quand la commande est effectuée, on peut juste la produire et l’expédier ».

Le sujet, s’il en est un, est donc la connexion entre l’industrie portugaise et la création africaine, pour pouvoir rentrer, sur un moyen terme et avant que l’Afrique ne développe son propre écosystème, dans une logique de prêt-à-porter. Ce, à l’image de Judy Sanderson, créatrice sud-africaine, dont la marque, basée à Porto, fabrique en local.

« Notre but est de construire une image au-delà de nos frontières, conclut la directrice de Portugal Fashion. C’est pourquoi, en marge de cette fashion week, depuis quatre ans, nous organisations des présentations à Sao Paolo, Istanbul, Paris, Londres, etc. Nous voulons faire de la ville de Porto un hot spot de la mode en Europe. » De mémoire de journaliste, la dernière fois que j’ai entendu cette phrase, c’était dans la bouche du maire de Séoul.

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