Quentin Véron, artisan de fourrures recyclées
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La fausse fourrure, que l’on voit apparaître dans de nombreuses collections automne-hiver 2025/2026, est-elle une fausse bonne idée ? C’est la question que FashionUnited s’est posée en interviewant Quentin Véron, artisan de fourrure recyclée.
Quelle est votre position vis-à-vis de la souffrance animale ?
En tant que fourreur, j’étais en plein paradoxe, car je suis un amoureux des animaux. C'est la raison pour laquelle j'ai switché pour la fourrure recyclée. De cette façon, je ne les fais plus souffrir, même s'il y a 150 ou 60 ans, la confection de la première pièce a engendré de la souffrance. Ces articles existent, autant les utiliser et en faire quelque chose. Parce qu'in fine, la fourrure est une matière naturelle et biodégradable.
Est-ce que les fourrures recyclées ne vont pas donner envie aux consommateurs(trices) d’en porter et, du coup, drainer le marché ?
Quelle que soit la tendance, les vrais acheteurs, des personnes riches, achèteront toujours de la fourrure. Aucun milliardaire ne retape sa Bentley avec du faux cuir ou de la fausse fourrure. La haute couture misera toujours sur de la fourrure neuve. Même les marques qui disent qu’elles n’en produisent plus continueront d’en faire.
Ceux qui se posent des questions éthiques n’en achètent pas. Par contre, ils peuvent se tourner vers la fourrure recyclée.
Quant aux classes populaires, qui s’habillent avec des marques de faste fashion, elles n’y ont pas accès. À moins de résider en Chine, la moindre pièce coûte, a minima, 900 euros. Il est impossible de trouver de la vraie fourrure à moindre coût.
Quid des cols en fourrure apposés sur les doudounes, par exemple ?
Quel est l’intérêt de monter un col en fourrure sur une pièce principale réalisée en polyester ? Le problème, de nos jours, ce n’est pas la fourrure, mais la surconsommation. Après avoir attaqué le métier de fourreur pendant des années, le travail a été exporté en Chine et l’artisanat français s’est écroulé. Le but de la fourrure recyclée est de le sauvegarder.
Comment sourcez-vous et travaillez-vous vos matières premières ?
Je scrute les dépôts ventes, les enchères, Vinted, Vestiaire Collective. Certains clients m’apportent leurs anciennes pièces. Je dispose également d’un bon réseau de fourreurs. Beaucoup ont fermé et j’ai pu racheter leurs stocks composés de peaux et d’anciens manteaux, que je démonte, peau par peau ou par panneau.
La création de nouvelles pièces et les étapes de fabrication reviennent au même que celles avec des matières neuves. La fourrure est un savoir-faire traditionnel et artisanal.
Est-ce plus compliqué de recycler des manteaux en fourrure que d’utiliser des peaux neuves ?
Ce n'est pas plus compliqué, juste différent. Vous voyez les manteaux de grand-mère avec des grandes bandes de vison qui vont de haut en bas ? On appelle cela des visons allongés, c'est une technique extrêmement compliquée. Il n'y a que les Grecs qui la maîtrisent parfaitement. Moi, après vingt ans de métier, je ne sais toujours pas. Du coup, avec un manteau déjà fait, je n’ai plus qu’à m’en servir.
Qui achète de la fourrure recyclée ?
J'ai une clientèle diversifiée : autant des personnes qui n'ont pas des gros budgets, que d’autres qui veulent une belle pièce comme, à l'époque, on se faisait faire un beau manteau en cuir, en laine, ou un costume. D’autres me demandent d'aller chiner.
C’est du sur-mesure sans le prix du sur-mesure parce que la plupart des clientes apportent leur propre matière. Elles me confient leur vieux manteau pour que je le transforme en un article plus moderne. L'objectif est de le porter le plus longtemps possible. C'est beaucoup moins cher car elles ne payent que la main-d’œuvre.
Mais j’ai aussi une clientèle luxe qui n’a pas de problème avec la fourrure recyclée du moment que la pièce confectionnée est intéressante. Le prix plancher est 1 500 euros (matières fournies). Ensuite, le tarif varie en fonction du design et de l’ennoblissement.
Où se trouvent vos ateliers ?
À Paris, dans le neuvième arrondissement, et à Besançon. Je conçois 90 % des pièces puis je délègue la confection de doublure, le montage du cuir ou la pose de zips à de petits ateliers que je connais depuis toujours. À une certaine époque, ces personnes travaillaient pour moi. Aujourd’hui, elles sont à leur compte.
Voici plus de dix ans que vous avez pris vos distances vis-à-vis du rythme de la mode (défilés, btob, btoc), comment trouvez-vous votre clientèle ?
Au départ, c’est grâce au fait que j'habillais beaucoup de célébrités. Des clientes sont venues me voir parce qu’elle le savait. Aujourd’hui, c’est à 99 % du bouche-à-oreille. Je ne poste même plus sur les réseaux sociaux, cela ne sert à rien.
En tant qu’artisan, c'est le client qui vient me voir pour passer commande. Soit, il aime mon style, soit il a un style un peu différent et cela augure des discussions pour se mettre d’accord. À chaque fois, je fais plusieurs propositions. Chaque pièce est telle une microcollection.
Armés d’un savoir-faire spécifique, les artisans sont au service de la clientèle, tandis que les créateurs de mode mettent en avant leur art à travers des fashion shows ou des présentations et espèrent que les gens y adhèrent. Si l’organisation d’un défilé est une expérience sublime, la logique commerciale qui va avec est assez hard core car on n’a aucun retour direct des clients.
Quel conseil donnez-vous aux jeunes créateurs qui s’engagent dans la mode ?
Dès qu’on parle de poils à Paris, mon nom ressort. C’est pourquoi mon conseil est de devenir expert dans un secteur : la maille, la bijouterie, etc. Cela définit la mentalité « artisan », a contrario d’une tendance générale à faire un peu de tout, sans être spécialisé en rien.