Daphné Bürki : « Je regarde la mode comme un espace de liberté et d'inspiration. C'est le fleuron de la France »
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Styliste, animatrice TV, passionnée de mode, Daphné Bürki est de tous les fronts. Son soutien à la jeune création française est manifeste, ne serait-ce que pour ce qu’elle a fait pour les cérémonies des JO 2024, pour l’émission Drag Race ou encore sa présidence au prix de la photographie de mode Picto 2025. Événement qui a donné l’occasion à FashionUnited de faire un point sur sa carrière et ses engagements.
Vous avez récemment été nommée chevalière des ordres et des lettres par le ministère de la Culture
Oui, j’étais hyper touchée. Nous sommes en train de caler une date pour la remise de la médaille, car je veux que les différents collectifs qui ont travaillé avec moi puissent être présents. À l’école, je ne rentrais pas trop dans les formats. C'est assez touchant que ce soit le public qui me dise « good job ».
Quelle place occupe la mode dans l’émission Culture Box que vous coanimez avec Raphäl Yem sur France 4 ?
Je me suis toujours amusé à m'habiller et j’essaie de soutenir la jeune création. Dès le début, nous avons reçu des jeunes créateurs comme des grandes maisons de luxe. C'est une forme de parrainage. Les créateurs sont facteurs de modernité, la télévision populaire leur apporte de la visibilité. La mode fait partie intégrante de l'émission, même si la musique et la danse prennent une grande place.
Selon vous, pourquoi la mode occupe-t-elle si peu de place à la télévision française ?
Quand j'ai démarré sur Canal +, j'ai tout de suite inclus la mode. J’ai toujours été libre de parler des jeunes créateurs, des marques mainstream, des maisons de couture ou de prêt-à-porter. Mais il est vrai qu'il y a très peu d'émissions dédiées à la mode. La plupart des dirigeants de chaînes ou de radio pensent sans doute que c'est un milieu élitiste et clivant, je ne l'ai jamais vu comme ça. Je regarde la mode comme un espace de liberté, de création et d'inspiration. C'est le fleuron de la France.
Néanmoins, je pense que nous sommes en train de réinventer les codes. Des personnes comme Pharrell Williams font bouger les choses. Il y a des jeunes qui ne se rendent même pas compte qu'ils pourraient avoir une profession à vie en rentrant dans les métiers d'art comme la broderie ou la dentellerie. Il y a encore tellement de choses à faire.
Quel est le rapport entre Drag Race France, émission sur les drag-queens que vous animez, et la mode ?
Les drag-queens ont toujours exercé une influence majeure sur les créateurs. Elles ont souvent peu de moyens et cette contrainte les rend créatives. Elles sont une source inépuisable d'idées qui peuvent paraître grotesques ou glauques, mais, en réalité, c’est de l’artisanat pur. La plupart font appel à des jeunes couturiers qui sont capables de déceler une idée complètement folle et de confectionner une tenue qui va performer, bouger et laisser libre de danser. Tout part de là. Certaines commencent à être connues et ont alors recours à des grandes maisons.
Quand je construis les looks, j'essaie de raconter une histoire. La première année, je voulais montrer la couture française et à quel point les jeunes créateurs français sont hyper influents. La deuxième année, j'ai mis en avant des marques qui font de la couture consciente en utilisant les dead stocks. Aujourd’hui, cela paraît banal, mais, il y a trois ans, ça ne l’était pas.
Par le passé, j’ai fait appel à Kevin Germanier, Jeanne Friot ou encore Victor Weinsanto. Drag Race est une vitrine énorme. Cette année, je désire rendre hommage au clubbing qui est aussi un espace de création. Je souhaite illustrer huit grands clubs, du studio 54 au Berghain en passant par les Bain Douches.
Comment avez-vous travaillé les costumes des Jeux Olympiques 2024 ?
J'ai fait appel au chef costumier Olivier Bériot. Grâce à lui, j'ai monté un atelier à Saint-Denis. Personne ne pouvait se douter que, derrière la porte, une centaine d'ouvriers et d'ouvrières confectionnaient 3000 costumes sur mesure pour chaque performeur. Nous avons construit les tableaux avec Thomas Jolly en commençant par lui montrer des photos qui nous influençaient – c’est d’ailleurs pour cela que j’ai aimé présider le prix de la photographie de mode Picto 2025 – puis des dessins. Nous avons réalisé les douze tableaux des cérémonies d'ouverture et les costumes de la clôture.
Nous avons utilisé beaucoup de vêtements de seconde main parce qu’après les Jeux, nous ne voulions pas, les jeter à la poubelle. Il fallait qu’ils aient une deuxième vie. Beaucoup de compagnies de danse ont repris les costumes. D’autres ont été récupérés par des associations. Certains sont exposés dans des musées comme le Palais Galliera.
Comment avez-vous géré la création des tenues pour la cérémonie des Jeux paralympiques ?
Il n’y avait aucune raison que ce soit différent, il faut juste s'intéresser à la personne et repartir de la base en déconstruisant ce que l’on apprend à l’école. Les vêtements des jeunes créateurs ont été adaptés aux différentes morphologies.
Comment s’est passé le concours de la photographie de mode Picto 2025 et pourquoi avoir choisi le lauréat Arash Khaksari ?
Les portfolios ont été déposés chez Picto. Les membres du jury et moi-même avons passé près de quatre heures à les examiner et à défendre chaque projet. Pour le gagnant du grand prix, Arash Khaksari, les délibérations ont été rapides parce que son histoire, son parcours et ses photos, nous ne les avions jamais vus ailleurs. Sa palette de couleurs (terracotta, marron, verdâtre) et son rapport à la nature, en photographiant des matières biodégradables, nous ont motivés.
Comme dit Paolo Roversi, aujourd'hui, on ne peut pas faire de la mode pour faire de la mode. Il faut agir en conscience, car c’est une industrie très polluante, notamment la fast fashion. J'adore la mode parce qu'elle est vivante. Si les vêtements ont une vie puis sont amenés à disparaître proprement, je trouve extraordinaire d'arriver à le raconter et à le mettre en image, surtout à une époque où ces dernières sont particulièrement impactantes via les réseaux sociaux.
Quid du prix du 19M, Jean Marques ?
Il fallait trouver quelqu'un qui soit capable d'apporter un œil frais sur les ateliers de 19M. Les photographies de Jean Marquez montrent ce qu’on appelle « les défauts » des backstages. Pour moi, ce n’en est pas. On voit les sillons, les craquelures, l'épiderme ou les pores de la peau. Des images sans filtre qui vont à l’encontre de ce qu’on a l’habitude de voir, car on nous vend beaucoup d'images qui n'existent pas.