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Quand la digitalisation de la mode bouscule le marché, entre fracture et recomposition

By Diane Vanderschelden

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Retail
Credits: Lectra

Le marché de la mode en France est à la croisée des chemins, bousculé par une digitalisation qui s’accélère, changeant en profondeur les rapports de force entre acteurs.

Selon les dernières données publiées par l’Institut Français de la Mode (IFM), les ventes d’habillement et de textile en ligne ont progressé de 0,8 % sur les sept premiers mois de l’année, après une croissance de 1,7 % en 2024. En valeur, le commerce en ligne représente désormais 30,7 % des achats d’habillement, confirmant que le basculement vers le digital est structurel et durable, même si la dynamique ralentit.

Seconde main et ultra fast fashion : les deux moteurs de la mutation

Cette progression est alimentée par deux forces principales. D’une part, la montée en puissance du marché de la seconde main et l’essor des plateformes internationales d’ultra fast fashion. D’autre part, la seconde main, qui représente déjà 18 % des ventes en ligne. Une composante incontournable de la consommation vestimentaire, incarnée par Vinted, devenu leader du marché français. Dans le même temps, Shein et Temu s’imposent quant à elles avec une offre centrée sur des prix extrêmement bas, captant ensemble 16 % des dépenses d’habillement en ligne en volume. Ces deux tendances traduisent des logiques de consommation a priori contradictoires – la recherche d’une consommation plus responsable d’un côté et la quête de prix planchers de l’autre – mais qui coexistent dans les arbitrages des clients, révélant la complexité croissante des comportements d’achat.

Une fracture générationnelle dans les usages

La fracture générationnelle accentue encore ces évolutions. Les 18-34 ans réalisent 34,7 % de leurs dépenses vestimentaires en ligne, plébiscitant la seconde main et les plateformes internationales, tandis que les 55 ans et plus restent attachés aux magasins physiques, même si leur usage du digital progresse et atteint désormais 22,5 % de leurs achats en valeur. Pour les enseignes traditionnelles, cette polarisation constitue évidemment un défi stratégique majeur. Elles doivent réussir à articuler une stratégie omnicanale cohérente qui concilie expérience client en magasin et accessibilité numérique.

Une recomposition du paysage des enseignes

Le classement des acteurs du marché traduit lui aussi cette recomposition. Temu fait son entrée dans le top 15 des enseignes de mode en France, dominé par Vinted, Kiabi, Amazon, Décathlon et Shein. La progression de ces nouveaux entrants souligne l’affaiblissement relatif des distributeurs historiques, confrontés à une concurrence frontale reposant sur des modèles économiques mondialisés et des logiques de volume difficilement réplicables à l’échelle nationale.

La digitalisation, un pari sur la rentabilité

Si la digitalisation constitue un relais de croissance incontournable, elle ne garantit pas pour autant une amélioration des marges. Les enseignes françaises doivent absorber des coûts importants liés aux infrastructures logistiques, à la gestion des retours (qui concernent près de 20 à 25 % des ventes en ligne), et aux investissements technologiques nécessaires pour rester visibles sur des plateformes saturées. Selon l’IFM, la rentabilité opérationnelle moyenne des distributeurs mode en France s’est érodée de plus de 2 points en cinq ans, et le e-commerce, malgré sa croissance, ne compense pas toujours cette pression.

L’expérience de Nike est devenu un cas d'école. Le groupe avait choisi de réduire sa dépendance aux distributeurs traditionnels pour miser massivement sur la vente directe en ligne (Direct to Consumer), sous l’impulsion de John Donahoe, ex-CEO d’eBay. Ce virage « digital first » a renforcé la maîtrise de la relation client, mais il s’est traduit par une chute de rentabilité, entre coûts logistiques et tensions avec les partenaires historiques. Depuis 2023, Nike a dû corriger sa trajectoire en réinvestissant dans son réseau physique, admettant qu’un modèle « only digital » n’était pas viable à grande échelle.

En mode comme ailleurs, le « click and mortar » — la combinaison intelligente du réseau physique et du digital — s’impose donc comme le seul modèle soutenable à long terme, permettant à la fois de préserver la proximité avec les clients et d’amortir les coûts du e-commerce. C’est aussi sur ce terrain que se jouera la capacité des enseignes françaises à transformer la digitalisation en véritable levier de différenciation.

Quels leviers pour les enseignes françaises ?

À moyen terme, l’enjeu dépasse la simple croissance du e-commerce. La digitalisation redessine les rapports de force entre acteurs et impose de nouvelles règles du jeu. Les plateformes internationales dictent désormais le tempo, tandis que la montée en puissance de la seconde main transforme les usages et remet en question la valeur perçue du neuf.

Au fond, la bataille de la mode française ne se jouera peut-être pas sur le seul terrain du prix, déjà trusté par les plateformes mondialisées, mais sur la capacité des enseignes à affirmer une identité forte et reconnaissable. Dans un marché où le neuf se banalise et où l’attention des consommateurs est fragmentée, seules les marques capables de conjuguer proximité, créativité et sens pourront transformer la digitalisation en véritable levier de différenciation.

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